Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tère et à sa situation ; parfois cependant cette joie bizarre était remplacée par des accès de silence absolu, de profonde mélancolie, de caprice et de mauvaise humeur. Lady Ashton fut vivement alarmée, et consulta les médecins de la famille ; mais comme son pouls n’indiquait aucun changement, ils se contentèrent de dire que c’était une indisposition légère, causée par quelque violente agitation, et qui ne demandait qu’un exercice modéré et de la dissipation. Miss Ashton ne parlait jamais de la scène du grand salon, elle paraissait même n’en avoir aucune connaissance ; car on remarquait souvent qu’elle portait les mains à son cou, comme si elle eût cherché le ruban qui en avait été détaché, et on l’entendait dire tout bas, avec un ton de surprise et de mécontentement : « C’était le lien qui m’attachait à la vie. »

Malgré tous ces symptômes que l’on ne pouvait s’empêcher de remarquer, lady Ashton s’était trop avancée pour différer le mariage de sa fille, même dans l’état actuel de sa santé. Elle eut beaucoup de peine à sauver les apparences à l’égard de Bucklaw. Elle savait fort bien que, s’il voyait quelque répugnance de la part de Lucy, il y renoncerait complètement ; ce qui serait une honte et un affront pour la famille et surtout pour elle-même. Elle résolut donc que, si Lucy continuait à se rendre passivement à ses volontés, le mariage serait célébré au jour primitivement fixé, se flattant qu’un changement de séjour, de situation et de rang dans le monde, opérerait sur sa fille une guérison plus prompte et plus efficace que les moyens et les remèdes trop lents des médecins. Les vues de sir William Ashton pour l’agrandissement de sa famille, jointes au désir qu’il éprouvait de fortifier son parti contre celui du marquis d’Athol, le portèrent facilement à consentir à ce qu’il n’aurait pu empêcher lors même qu’il aurait voulu s’y opposer. Bucklaw et le colonel Ashton, de leur côté, protestèrent, que, après ce qui s’était passé, il y aurait de la honte à différer même d’une heure l’époque marquée pour le mariage, parce qu’on attribuerait généralement ce délai à la frayeur qu’auraient inspirée la visite inattendue et les menaces de Ravenswood.

Bucklaw, il faut le dire, n’aurait pas consenti à une telle précipitation, s’il eût été instruit de l’état de la santé, ou plutôt de l’esprit de miss Ashton ; mais l’usage, en pareille occasion, ne permettait que des entrevues très-rares et très-courtes entre les futurs époux ; et lady Ashton sut si bien mettre à profit cette circonstance que Bucklaw ne vit et ne soupçonna rien.