Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/67

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où se trouvait Lucy, ce danger était presque inévitable. Il ne lui était jamais arrivé de voir un jeune homme dont les traits ainsi que la physionomie fussent aussi nobles et aussi frappants que ceux du Maître de Ravenswood ; mais en eût-elle vu cent qui lui eussent été égaux, ou supérieurs sous ces rapports, aucun autre n’eût pu réveiller dans son cœur tant de souvenirs et de sentiments, le danger, la délivrance, la gratitude, l’étonnement et la curiosité. Il est probable, en effet, que le contraste des manières contraintes et peu prévenantes du Maître de Ravenswood, avec l’expression naturelle de ses traits et la grâce de son maintien, excita vivement l’étonnement de Lucy et lui fit désirer de le mieux connaître. Elle ignorait presque entièrement ce qui avait rapport à Ravenswood, ou aux querelles qui avaient existé entre son père et celui du jeune homme, et, peut-être, la douceur de son caractère l’eût-elle empêchée de comprendre comment elles avaient excité leurs passions violentes et haineuses. Mais elle savait qu’il était d’une illustre origine ; qu’il était pauvre, quoique ses nobles ancêtres fussent opulents, et elle croyait qu’elle pouvait partager les sentiments d’une âme fière qui avait refusé d’écouter les expressions de reconnaissance des nouveaux propriétaires de la maison et des domaines de son père. Mais aurait-il refusé de même leurs remercîments et évité toute liaison avec eux, si sir William lui eût parlé avec plus de douceur, d’une manière moins brusque, et si ses expressions avaient été adoucies par les grâces que les femmes savent si bien répandre dans leurs manières, lorsqu’elles se proposent de calmer les passions fougueuses des hommes ? C’était une question dangereuse, et par elle-même et par ses conséquences, à adresser à son cœur.

Lucy Ashton, en un mot, était plongée au milieu de ces idées vagues et confuses qui sont le plus à redouter pour une jeune personne sensible. Le temps, l’absence, le changement de résidence et de société, pourraient détruire l’illusion et produire chez elle les mêmes effets que chez beaucoup d’autres ; mais sa demeure continuait à être solitaire, et son esprit était privé des moyens de dissiper les visions auxquelles elle trouvait tant de charmes. Cette solitude était principalement occasionnée par l’absence de lady Ashton, qui était alors à Édimbourg, occupée à suivre la marche de quelque intrigue d’état : le lord Keeper ne recevait du monde que par politique, ou par ostentation, et était naturellement réservé et peu sociable ; personne ne pouvait donc