Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/160

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Cependant, quoique amis de la bonne chère, en général les nobles normands se distinguaient par leur tempérance. Ils étaient plus délicats que gloutons ; la qualité leur importait bien plus que la quantité, et ils évitaient l’ivrognerie et tous les autres excès : on ne pourrait en dire autant des Saxons. Le prince Jean, il est vrai, et ceux qui voulaient le flatter en imitant ses défauts, se livraient sans réserve aux plaisirs de la table ; et l’on sait qu’il mourut d’une indigestion occasionnée par des pêches et de la bière nouvelle. Il faisait exception aux habitudes et aux mœurs de ses compatriotes.

Ce fut avec une gravité maligne, interrompue seulement par quelques gestes qu’ils se faisaient les uns aux autres, que les chevaliers normands observèrent la manière presque sauvage avec laquelle Athelstane et Cedric se conduisirent au banquet, manquant sans le savoir aux usages de la haute société, usages qui leur étaient peu familiers. Tous deux étaient l’objet de sarcasmes piquants ; car, on le sait, l’on pardonne plus aisément à un homme de manquer aux règles de la bienséance et de blesser les bonnes mœurs ; que de paraître ignorer les points les plus minutieux de l’étiquette et du bon ton. Aussi, lorsque Cedric essuyait ses deux mains avec une serviette, au lieu d’attendre qu’elles séchassent d’elles-mêmes en les agitant en l’air avec grâce, il paraissait plus ridicule que son compagnon Athelstane, qui, à lui seul, s’était adjugé un énorme pâté rempli de toutes les délicatesses exotiques les plus recherchées ; et qu’on appelait alors un karum-pie[1]. Cependant, lorsque après un mûr examen on découvrit que le thane ou franklin de Coningsburg n’avait aucune idée de ce qu’il venait de dévorer, et qu’il avait pris pour des alouettes et des pigeons les becfigues et les rossignols contenus dans le karum-pie, son ignorance excita de nombreuses risées, que sa gloutonnerie eût méritées à bien plus juste titre.

Le repas touchait à sa fin, et la bouteille circulait librement ; lorsque les convives se mirent à parler du dernier tournoi, du vainqueur inconnu dans le jeu de l’arc, du chevalier Noir, dont la modestie s’était dérobée aux honneurs qu’il avait mérités ; enfin du courageux Ivanhoe, qui avait payé si cher son triomphe. On traitait avec une franchise toute militaire les sujets mis en discussion, et les bons mots et les éclats de rire partaient de tous côtés. Le front du prince Jean était le seul qui ne se déridât point ; une préoccupation pénible semblait l’absorber entièrement, et ce n’était que lorsqu’il était rappelé adroitement au décorum par un de ses cour-

  1. Ce mot pourrait être traduit dans notre langue par celui de macédoine. a. m.