Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/232

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frayeur, « en quoi est-il le rival de Front-de-Bœuf ? ou qu’a-t-il à craindre de lui, si ce n’est un emprisonnement de peu de durée et le paiement d’une rançon convenable, suivant les usages de la chevalerie ?

— Es-tu donc abusée par l’erreur commune à tout ton sexe, qui pense qu’il ne peut exister d’autre rivalité que celle qui a ses charmes pour objet ? Ne sais-tu donc pas qu’il existe une jalousie d’ambition et de richesse, aussi bien qu’une jalousie d’amour ? Front-de-Bœuf écartera de son chemin celui qui met obstacle à ses prétentions à la superbe baronnie d’Ivanhoe, avec autant d’empressement, d’ardeur, et aussi peu de scrupule que s’il était son rival préféré auprès de la plus belle damoiselle aux yeux bleus. Mais daigne sourire à mon amour, lady Rowena, et le chevalier blessé n’aura rien à craindre de Front-de-Bœuf ; sans quoi, tu peux le pleurer dès à présent comme étant entre les mains d’un homme qui n’a jamais éprouvé le moindre sentiment de compassion.

— Sauvez-le, pour l’amour du ciel ! » s’écria Rowena, dont la fermeté céda aux craintes que lui inspirait le danger de son amant.

« Je le puis, je le veux ; c’est mon intention : car une fois que lady Rowena aura consenti à être l’épouse de de Bracy, qui osera porter la main sur son parent, sur le fils de son tuteur, sur le compagnon de son enfance ? Mais c’est le don de ta main qui doit acheter ma protection. Je ne suis pas assez fou ni assez romanesque pour contribuer au bonheur ou empêcher le malheur de l’homme le plus propre à opposer un puissant obstacle à l’accomplissement de mes désirs. Emploie en sa faveur l’influence que tu as sur moi, et il n’a rien à craindre ; refuse mes vœux, et Ivanhoe périt sans que tu recouvres ta liberté.

— Ton langage, » répondit Rowena en le regardant fixement, « est empreint d’un mélange de dureté et d’indifférence qui s’accorde peu avec tes véritables sentiments. J’ai peine à croire que tu sois aussi méchant que tu affectes de le paraître, ou que ton pouvoir soit aussi grand que tu le dis.

— Ne te berce pas de cette idée ; le temps te ferait voir qu’elle est mal fondée. Ton amant, ton amant préféré est dans ce château, il ne peut se défendre. Il est l’obstacle placé entre Front-de-Bœuf et ce que Front-de-Bœuf estime plus que la gloire ou la beauté. Que lui en coûtera-t-il de plus qu’un coup de poignard ou de javeline pour se débarrasser de cet obstacle ? Que dis-je ? en supposant que Front-de-Bœuf reculât devant les conséquences d’un tel acte, son mé-