Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trémité sans éprouver un sentiment de compassion, et de Bracy se sentit ému, c’est-à-dire plus embarrassé que touché. Dans le fait, il était trop avancé pour reculer ; et cependant, dans l’état où il voyait lady Rowena, ni les raisonnements, ni les menaces ne pouvaient faire impression sur elle. Il se promenait en long et en large dans l’appartement, tantôt l’engageant à se calmer, tantôt réfléchissant sur la conduite qu’il devait tenir à son égard.

« Si je me laisse attendrir par les larmes et la douleur de cette belle inconsolable, » disait-il en lui-même, « quel fruit recueillerai-je de mon entreprise, si ce n’est la perte des brillantes espérances pour lesquelles j’ai couru tant de risques, et les railleries du prince Jean et de mes compagnons ? Et cependant je ne me sens pas fait pour le rôle que je joue. Je ne puis voir de sang-froid ce beau visage défiguré par la douleur, et ces beaux yeux inondés de larmes. Plût au ciel qu’elle eût conservé son premier caractère de hauteur et de fierté, ou que, comme Front-de-Bœuf, j’eusse un cœur entouré d’un triple airain ! »

Agité par ces pensées, il ne put qu’engager de nouveau lady Rowena à se calmer, l’assurant qu’elle n’avait pas de motif pour se livrer à un aussi grand désespoir ; qu’il n’avait pas eu l’intention de lui causer un si violent chagrin, et attribuant à l’excès de son amour des menaces qu’il était incapable de mettre à exécution. Mais, au milieu des consolations qu’il s’efforçait de lui donner, il fut interrompu par le son rauque et perçant du cor qui avait au même instant alarmé les autres habitants du château et arrêté l’exécution de leurs plans. De Bracy fut peut-être celui qui regretta le moins cette interruption, car sa conférence avec lady Rowena était parvenue à un point où il trouvait aussi difficile de poursuivre son entreprise que d’y renoncer.

Ici nous ne pouvons nous empêcher de croire qu’il est nécessaire que nous donnions au lecteur des preuves plus solides que les incidents semés dans un roman, de la vérité du tableau que nous venons de tracer. Il est pénible de voir que ces vaillants barons qui, par leur résistance aux prétentions de la couronne, assurèrent la liberté de l’Angleterre, aient été eux-mêmes de farouches oppresseurs et se soient rendus coupables d’excès aussi contraires non seulement aux lois de leur patrie, mais encore à celles de la nature et de l’humanité. Mais, hélas ! nous n’avons qu’à extraire de l’ouvrage du laborieux Henry un des nombreux fragments qu’il a recueillis dans les œuvres des historiens de cette époque, pour