Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bant en ruine, un mauvais vignoble et quelques lieues de terrain dans les landes de Bordeaux, son nom était connu partout où il se passait de hauts faits d’armes, plus célèbre que celui de mainte dame qui avait un comté pour dol. Oui, » continua-t-il en parcourant à grands pas la petite chambre, et paraissant ne plus se rappeler de la présence de Rébecca ; « oui, mes exploits, mes périls, mon sang, ont fait connaître le nom d’Adélaïde de Montemart, depuis la cour de Castille jusqu’à celle de Byzance. Et comment fus-je récompensé ? Lorsque je revins, chargé de lauriers chèrement achetés au prix de mille fatigues, au prix de mon sang, je la trouvai mariée à un simple écuyer gascon, dont le nom n’avait jamais été prononcé hors des limites de son misérable domaine. Je l’aimais d’un véritable amour, et je me vengeai d’une manière terrible de son manque de foi ; mais ma vengeance retomba sur ma tête… Je brisai tous les liens qui attachent à la vie ; elle m’était devenue odieuse… Mon âge mûr ne connaîtra pas le bonheur domestique, ne recevra pas les consolations d’une épouse affectueuse. Ma vieillesse ne sera point réchauffée par un foyer autour duquel se seraient réunis quelques amis… Mon tombeau sera solitaire… Je ne laisserai pas un fils pour soutenir l’ancien nom de Bois-Guilbert… J’ai déposé aux pieds de mon supérieur mes droits à la liberté, le privilège de mon indépendance. Le templier, véritable serf, quoiqu’il n’en ait pas le nom, ne peut posséder ni biens, ni terres ; il ne vit, n’agit, ne respire que par la volonté et sous le bon plaisir d’un autre.

— Hélas ! dit Rébecca, quels avantages peuvent indemniser de si grands sacrifices ?

— Le pouvoir de se venger, Rébecca, et l’espoir de satisfaire son ambition.

— Triste récompense pour l’abandon de ce qui est le plus cher à l’homme !

— Ne parle pas ainsi, jeune fille ; la vengeance est le plaisir des dieux, et s’ils se la sont réservée, comme les prêtres nous le disent, c’est qu’ils la regardent comme une jouissance trop précieuse pour l’accorder aux simples mortels. Et l’ambition ! C’est une passion capable de troubler le bonheur du ciel même… Rébecca, » ajouta-t-il après quelques instants de silence, « celle qui a pu préférer la mort au déshonneur doit avoir une âme forte et fière. Il faut que tu sois à moi… Ne t’effraie pas, » reprit-il en la voyant s’apprêter à remonter sur les créneaux ; « il faut que ce soit de ton plein gré, et