Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/292

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que de la potion qui lui fut apportée par Reuben lui procura un sommeil profond et tranquille ; le lendemain matin la généreuse Rébecca, ne lui trouvant aucun symptôme de fièvre, déclara qu’il pouvait être transporté sans danger.

On le plaça dans la même litière qui l’avait ramené du tournoi, et toutes les précautions furent prises pour que le voyage fût facile et commode. Il n’y eut qu’un seul point sur lequel, malgré toutes les instances de Rébecca, on n’eut pas suffisamment égard à la position du blessé. Isaac, comme le voyageur enrichi de la dixième satire de Juvénal, était continuellement tourmenté par la crainte des voleurs : car il n’ignorait pas que le Normand aussi bien que le Saxon, le noble aussi bien que le brigand, regarderaient toujours comme une œuvre méritoire de dépouiller un juif : ils voyageaient donc à grandes journées, ne faisant que de courtes haltes et des repas plus courts encore, de sorte qu’il devança Cedric et Athelstane, qui étaient partis plusieurs heures avant lui, mais qui avaient fait une longue pause devant la table de l’abbé de Saint-Withold. Cependant, telle était la vertu du baume de Miriam, ou la force de la constitution d’Ivanhoe, qu’aucun des inconvénients que Rébecca avait appréhendés ne survint pendant la route ; mais, sous un autre rapport, le résultat prouva qu’une trop grande précipitation est souvent nuisible. La célérité qu’il exigeait dans la marche donna lieu à des disputes entre Isaac et les gens qu’il avait loués pour lui servir d’escorte. C’étaient des Saxons aimant, comme tous leurs compatriotes, leurs aises et la bonne chère ; c’est-à-dire, comme le leur reprochaient les Normands, qu’ils étaient gourmands ou paresseux. À l’opposé de Shylock[1], ils avaient accepté les offres d’Isaac dans l’espoir de vivre à ses dépens, et la rapidité avec laquelle on voyageait renversait leurs espérances : ils firent donc des représentations sur le risque qu’ils couraient de ruiner leurs chevaux par cette marche forcée. En outre il s’éleva une querelle extrêmement vive au sujet de la quantité de vin et d’ale qui devait leur être allouée à chaque repas. Bref, il arriva qu’au moment où le danger qu’Isaac redoutait si fort vint le menacer, il se trouva abandonné par les mercenaires mécontents sur la protection desquels il avait compté, parce qu’il n’avait pas employé les moyens indispensables pour s’assurer leur bonne volonté.

Ce fut dans cet état d’abandon et de dénûment absolu de se

  1. Juif qui, dans la pièce de Shakspeare intitulée le Marchand de Venise, se vante de vivre aux dépens des chrétiens. a. m.