Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/30

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moyens possibles, de se mettre chacun à la tête de forces suffisantes pour jouer quelque rôle dans les convulsions terribles qui semblaient menacer le pays.

La situation de la noblesse inférieure, autrement dite les franklins[1], qui, par la loi et la constitution de l’Angleterre, avait le droit de se tenir indépendante de la noblesse féodale, devint alors singulièrement précaire. Si, comme cela était le plus général, ces nobles inférieurs se mettaient sous la protection de quelqu’un de ces espèces de petits rois de leur voisinage, s’ils acceptaient quelques charges féodales dans sa maison, ou s’ils s’engageaient, par des traités mutuels d’alliance et d’appui, à l’aider dans ses entreprises, ils pouvaient en effet obtenir un repos temporaire ; mais c’était avec le sacrifice de cette indépendance qui fut toujours si précieuse à un cœur anglais, et au risque de se voir associer aux expéditions les plus imprudentes que l’ambition de leurs protecteurs pouvait leur suggérer. D’un autre côté, les moyens de vexation et d’oppression de la part des barons étaient si nombreux et si divers, que ces grands ne manquaient jamais de prétexte ni de volonté pour harceler, tourmenter, poursuivre et ruiner tous ceux de leurs voisins moins puissans, qui cherchaient à secouer le joug de leur autorité, et qui, durant ces temps de dangers, espéraient, par une conduite inoffensive et avec le secours des lois du pays, jouir d’une protection réelle.

Une circonstance qui vint contribuer à augmenter la tyrannie de la haute noblesse et les souffrances des classes inférieures fut la conquête de l’Angleterre par Guillaume, duc de Normandie. Quatre générations n’avaient pu encore mêler entièrement le sang ennemi des Normands avec celui des Anglo-Saxons, ni réunir par un commun langage et par des intérêts mutuels deux races hostiles, dont l’une éprouvait encore toute l’exaltation du triomphe, tandis que l’autre gémissait sous toutes les conséquences de la défaite. Le pouvoir avait complètement passé dans les mains de la noblesse normande à l’issue de la bataille de Hastings, et, comme les historiens nous l’assurent, on en avait usé sans modération. Toute la race des princes saxons et des nobles de même origine avait été anéantie ou dépouillée, sauf un bien petit nombre d’exceptions ; et il n’y en avait que bien peu qui possédassent des terres dans le pays de leurs aïeux, même en qualité de propriétaires de seconde ou de troi-

  1. Nom que les Normands donnaient aux anciens thanes ou barons, formant alors un corps de la noblesse anglaise. a. m.