Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/374

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chrétiens devraient se consacrer uniquement à la culture des herbes destinées à leur nourriture. Encore, mon cher Conrad, si le relâchement de la discipline s’arrêtait là !… Tu sais bien qu’il nous a été défendu de recevoir dans nos murs ces saintes femmes qui dans l’origine étaient associées à l’ordre, sous le titre de sœurs, parce que, dit le quarante-sixième chapitre[1], le vieil ennemi a, par le moyen de la société des femmes, réussi à détourner du sentier du paradis un grand nombre de ceux qui y étaient entrés. Bien plus, le dernier article, qui est pour ainsi dire la pierre de couronnement que notre bienheureux fondateur a posée sur la doctrine pure et sans tache qu’il nous a enseignée, nous défend de donner, même à nos mères et à nos sœurs, le baiser d’affection, ut omnium mulierum fugiantur oscula[2]. Mais, j’ai honte de le dire, j’ai honte d’y penser ! quelle corruption est venue fondre sur notre ordre comme un torrent ! Les âmes pures de nos saints fondateurs, les esprits de Hughes de Païen, de Godefroy de Saint-Omer et des sept bienheureux champions qui les premiers se réunirent pour consacrer leur vie au service du Temple, sont troublés dans leurs joies célestes. Je les ai vus, Conrad, dans mes visions de la nuit : leurs yeux, dans lesquels brillait une flamme divine, versaient des larmes sur les péchés et les folies de leurs frères, sur leur luxe honteux et sur le libertinage effréné dans lequel ils vivent. « Beaumanoir, m’ont-ils dit, tu dors ; réveille-toi. Le sanctuaire du Temple a reçu une souillure immense, profonde ; une lèpre infecte s’y est introduite, comme jadis dans les maisons des Égyptiens ! Les soldats de la Croix, qui devaient fuir le regard de la femme comme l’œil du basilic, vivent ouvertement dans le péché, non seulement avec les femmes de leur croyance, mais encore avec celles des païens maudits et des juifs plus maudits encore. Beaumanoir, lève-toi, venge notre saint ordre ; prends le glaive de Phinéas pour faire justice de tous ces pécheurs, quel que soit leur sexe. » La vision disparut, Conrad ; mais, en me réveillant, je crus encore entendre le bruit de leur armure et voir flotter leurs manteaux blancs. Oui, j’exécuterai leurs ordres ; je purifierai le sanctuaire du Temple ; j’en arracherai les pierres imprégnées du levain de la corruption, et je les jetterai loin de l’édifice.

  1. C’est l’art. 56 : « Amplius sorores non coadunentur maribus. » Par l’art. 55, saint Bernard permet à quelques frères de se marier. a. m.
  2. Art. 72 : « Periculosum esse credimus omni religione vultum mulierum nimis attendere… Fugiat ergo feminea oscula. » a. m.