Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/54

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Outre ces motifs d’inquiétude le thane saxon était impatient de revoir son rustre favori, le bouffon Wamba, dont les facéties servaient comme d’assaisonnement à son repas du soir et aux bonnes rasades qui les accompagnaient. Ajoutez que Cedric n’avait pris aucune nourriture depuis midi, et que l’heure ordinaire de son souper avait sonné depuis long-temps, sujet d’irritation assez commun aux gentilshommes campagnards en ces temps-là comme aujourd’hui. Son déplaisir ne s’exprimait néanmoins que par des mots entrecoupés, partie murmurés à lui-même, partie adressés aux domestiques qui l’entouraient, spécialement à son échanson qui lui offrait de temps à autre, en manière de potion calmante, une coupe d’argent pleine de vin.

« Pourquoi, s’écria-t-il, lady Rowena tarde-t-elle à venir ?

— Elle n’a plus à arranger que sa coiffure, » répondit hardiment une suivante, avec autant de confiance que la femme de chambre d’une lady favorisée a coutume de répondre à un maître de maison de notre temps ; « voudriez-vous qu’elle vînt s’asseoir au banquet en cornette de nuit et en jupon de lit ? aucune dame du comté n’est plus prompte qu’elle à s’habiller. »

Cet argument sans réplique amena une sorte d’acquiescement de la part du thane saxon, qui ajouta : « J’espère que sa dévotion lui fera choisir un plus beau temps pour visiter la prochaine fois l’église de Saint-Jean ; mais au nom de mille diables, continua-t-il en se tournant vers son échanson et en haussant la voix comme s’il eût trouvé quelqu’un sur lequel il pût à son aise décharger sa bile, quel motif peut retenir Gurth si tard dans les champs ? Je suppose que nous allons entendre un mauvais compte de son troupeau ; c’est pourtant un serviteur exact et fidèle, et je le destinais à quelque chose de mieux ; par exemple, j’aurais pu faire de lui un de mes gardes forestiers. »

Oswald l’échanson insinua humblement qu’il y avait à peine une heure d’écoulée depuis qu’on avait sonné le couvre-feu, expression mal choisie, car elle résonnait toujours bien durement aux oreilles d’un Saxon[1].

« Maudit soit le couvre-feu, s’écria Cedric ; maudit soit le tyran bâtard qui nous l’a apporté, et l’esclave sans cœur qui fait entendre ce mot à l’oreille d’un Saxon. Le couvre-feu ! ajouta-t-il après une

  1. Le couvre-feu avait été établi en Angleterre par Guillaume-le-Conquérant, dont une ordonnance le faisait sonner tous les soirs à huit heures, où chacun était forcé d’éteindre son feu et ses lumières. a. m.