Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/103

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croupe de sa mule, et ensuite, avec autant de grâce qu’il lui fut possible, engagea la belle affligée à monter derrière lui. Elle parut comprendre sa pensée, car elle se leva comme pour accepter son offre ; et, tandis que le moine charitable, qui n’était pas très-habile cavalier, se donnait beaucoup de peine, en pressant de sa jambe droite le flanc de sa mule, et tirant la bride de la main gauche, afin de placer l’animal parallèlement à la rive, et de donner à la dame la facilité de monter d’un seul bond, elle se trouva assise derrière le moine, où elle se tint encore plus ferme que lui. La mule ne parut pas du tout s’accommoder de ce double fardeau ; elle sauta, se cabra, et aurait fait passer le père Philippe par-dessus sa tête, si la dame ne l’eût fortement retenu sur la selle.

À la fin, l’animal rétif changea d’humeur, et, loin de refuser de marcher, allongea son cou dans la direction du gîte, et plongea vivement dans le gué, comme s’il prenait la fuite. Alors une nouvelle terreur s’empara de l’âme du moine ; le gué paraissait être extraordinairement profond ; l’eau tourbillonnait violemment au poitrail de la mule, et commençait à s’élever sur ses flancs. Philippe perdit sa présence d’esprit, qui, à la vérité, n’était pas très-grande. La mule céda à la force du courant, et comme le cavalier n’eut pas l’attention de lui tenir la tête tournée vers le haut du fleuve, elle se laissa dériver, s’écarta du gué, perdit pied, et se mit à nager en suivant le fil de l’eau. Ce qu’il y eut de plus étrange, c’est que, au même moment, et malgré le péril imminent, la dame se mit à chanter, ce qui augmenta encore, s’il était possible, la terreur du digne sacristain.

Nageons gaiement, car la lune est brillante,
Et ses rayons dansent au sein des flots.
Brise du soir, votre haleine mourante
Du chêne creux éveille les échos ;
Du chêne creux, qui sur l’onde riante
Projette au loin l’ombre de ses rameaux.
Nageons gaiement, car la lune est brillante,
Et ses rayons dansent au sein des flots.

Le noir corbeau de sa voix enrouée
Fait retentir le monotone accent :
« Qui donc, dit-il, éveille ma couvée ?
« Il le paiera du plus pur de son sang,
« Et des lambeaux de sa chair pantelante
« Mes nourrissons seront repus tantôt. »