Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un vieux praticien nommé David Stiles. Je dis qu’il ne s’agissait pas ici d’enthousiasme militaire, car je n’étais pas naturellement ami des querelles, et je n’aurais pas donné un sou de toutes les histoires de ces héros qui avaient bouleversé le monde dans les temps anciens. Pour le courage, il est vrai que j’en avais, comme je m’en suis aperçu dans la suite, tout juste la dose qui me suffisait, et pas un grain de plus. Au reste, je reconnus bientôt que, dans l’action, il y a plus de danger à fuir qu’à se tenir à son poste, outre que je pouvais m’exposer à perdre mon brevet, qui était ma seule ressource[1]. Mais quant à cette bouillante valeur dont j’ai entendu plus d’un des nôtres faire un grand étalage, bien qu’en dernière analyse elle se réduisît presqu’à rien sitôt qu’il fallait la prouver ; quant à cette bravoure extraordinaire qui recherche le danger comme un amant courtise sa maîtresse, j’avoue que mon cœur était d’une trempe beaucoup moins forte.

D’un autre côté, l’envie de porter un habit rouge, qui, à défaut de toute autre inclination, a fait plus d’un mauvais comme plus d’un bon soldat, était complètement étrangère à mes goûts. Je n’aurais pas donné une épingle pour toutes les jeunes filles du monde : bien plus, quoiqu’il y eût dans le village un pensionnat de demoiselles, et que je rencontrasse les jolies pensionnaires une fois par semaine à la salle de danse de Simon Lightfoot[2], je ne me souviens pas qu’elles aient excité en moi de fortes émotions, si ce n’est l’extrême embarras que j’éprouvais à offrir cérémonieusement à ma danseuse une orange que ma tante avait mise dans ma poche pour cet objet spécial, mais que, si je l’avais osé, j’aurais secrètement détournée à mon profit. Pour ce qui est de la vanité, ou de l’amour de la parure en lui-même, j’y songeais si peu, que ce n’était pas sans peine qu’on parvenait à me faire brosser mon uniforme afin de me présenter convenablement à la parade. Je n’oublierai jamais la remontrance que me fit mon vieux colonel, un matin que le roi passa en revue une brigade dont nous faisions partie. « Je ne suis pas partisan de toilettes extravagantes, enseigne Clutterbuck, me dit-il ; mais, dans un jour où nous devons passer la revue devant le souverain du royaume, au nom de Dieu, je voudrais lui montrer au moins un pouce de linge propre. »

  1. On sait qu’en Angleterre les brevets d’officiers s’achètent comme presque toutes les autres charges publiques. a. m.
  2. Mot composé de light, léger, et foot, pied ; comme qui dirait pied léger ou zéphyr. a. m.