Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/37

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de porter une coupe bien pleine sans en répandre quelques gouttes. Sans doute la richesse de la communauté, en excitant la cupidité d’autrui, était aussi, sous plusieurs rapports, un piège pour les religieux eux-mêmes ; et néanmoins nous avons vu les revenus de certains couvents employés non seulement à des actes de bienfaisance et d’hospitalité envers des individus, mais encore à des travaux d’une utilité générale et permanente. La superbe collection in-folio des historiens français, commencée en 1737, sous l’inspection et aux frais de la congrégation de Saint-Maur, prouvera long-temps que les bénédictins ne dépensaient pas toujours leurs revenus en jouissances personnelles, et qu’ils ne s’endormaient pas tous dans la paresse et l’indolence, une fois qu’ils avaient rempli les devoirs de leur règle. »

Comme à cette époque je n’avais pas la plus petite connaissance de la congrégation de Saint-Maur, ni par conséquent de ses doctes travaux, je ne pus que marmoter une sorte d’assentiment à ce discours. Depuis ce temps-là j’ai vu ce noble ouvrage dans la bibliothèque d’une famille distinguée, et, je dois l’avouer, je ne puis voir sans une certaine honte que, dans un pays aussi riche que le nôtre, on n’ait pas entrepris, sous le patronage des grands seigneurs et des savants, un recueil de nos historiens, capable de rivaliser avec celui que les bénédictins de Paris ont exécuté aux frais de leur communauté.

« Je m’aperçois, » reprit en souriant l’ex-bénédictin, « que vos préjugés hérétiques vous empêchent de nous accorder à nous autres pauvres moines le plus léger mérite, soit littéraire, soit spirituel.

— Bien loin de là, monsieur, répondis-je, je vous assure que j’ai eu plus d’une obligation aux moines dans mon temps. Je me suis trouvé en quartier d’hiver dans un monastère de Flandre, lors de la campagne de 1703 ; et je n’ai jamais mené une vie plus agréable qu’alors. Ah ! c’étaient de bons vivants que ces chanoines flamands, et ce fut bien à regret que je quittai ma bonne garnison, sachant d’ailleurs que je laissais mes braves hôtes à la merci des sans-culottes : mais que voulez-vous, ce sont les chances de la guerre ! »

Le pauvre bénédictin baissa les yeux et garda le silence. J’avais, sans y penser, éveillé en lui une suite de souvenirs amers, ou plutôt j’avais touché un peu trop rudement une corde qui cessait rarement de vibrer d’elle-même ; mais il était trop familiarisé avec