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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/386

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ment avez-vous osé vous-même lever les yeux sur une personne si supérieure à vous, autrement que pour l’honorer et la respecter ?

— L’amour s’est-il jamais inquiété du blason ? répliqua Édouard. En quoi Marie, l’hôte et l’enfant adoptive de notre mère, diffère-t-elle de nous avec qui elle a été élevée, si ce n’est par une longue suite d’ancêtres, qui depuis long-temps n’existent plus ? Nous l’aimions : c’est assez ; nous l’aimions tous deux : mais la passion d’Halbert était payée de retour ; il ne le savait pas, il ne le voyait pas. Moi, j’avais l’œil plus pénétrant. Je m’aperçus que si Marie me louait davantage, c’était Halbert qu’elle aimait le mieux. Elle passait volontiers tête-à-tête avec moi des heures entières dans toute la simplicité et la tranquille indifférence d’une sœur ; mais elle n’osait en faire autant avec Halbert ; elle changeait de couleur, elle tressaillait lorsqu’il l’approchait, et dès qu’elle le voyait s’éloigner, elle devenait triste, pensive, et cherchait la solitude. J’ai supporté tout cela. J’ai vu les progrès que mon rival faisait chaque jour dans ses affections ; je les ai vus, mon père, et cependant je ne le haïssais point, je ne pouvais le haïr.

— Et tant mieux pour vous, mon fils ; cela ne doit pas m’étonner. au reste, fier et emporté comme vous êtes, auriez-vous pu haïr votre frère parce qu’il partageait votre propre folie ?

— Mon père, reprit Édouard, le monde vous croit sage et vous attribue une connaissance profonde du genre humain ; mais votre question prouve que vous n’avez jamais aimé. Il m’en coûta un grand effort pour ne pas haïr un si bon frère, qui, sans aucun soupçon de notre rivalité, m’accablait chaque jour de marques d’affection ; quelquefois même mon âme se sentait capable de répondre à sa tendresse avec tout l’enthousiasme de la reconnaissance et de l’admiration, et jamais je ne l’éprouvai si vivement que le soir où nous nous séparâmes. Mais je ne pus m’empêcher de me réjouir lorsque je réfléchis que je ne le trouverais plus chaque jour sur mon chemin ; je ne pus m’empêcher de m’attrister quand je vis qu’il allait de nouveau venir s’interposer entre l’objet de mon amour et moi.

— Que le ciel vous protège ! mon fils, dit le moine ; votre âme est vraiment dans un état terrible. Ce fut dans cette disposition chagrine que le premier meurtrier leva la main contre son frère, parce que le sacrifice d’Abel avait été plus agréable au Seigneur.

— Je lutterai contre le démon qui me poursuit, mon père ; oui, je lutterai contre lui et je le vaincrai. Mais avant tout, il faut que