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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/50

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spiritueuses ; il est assez ordinaire d’entendre les vieilles filles déclamer contre la médisance ; les rayons des bibliothèques secrètes de certaines gens, très-graves en apparence, offenseraient des yeux modestes ; et combien, je ne dis pas de sages et de savants, mais de ceux qui sont le plus jaloux de passer pour tels, qui, lorsque la targette de leur cabinet est tirée, qu’ils ont leur bonnet de velours sur leurs oreilles et les pieds dans leurs pantoufles vertes, combien, dis-je, n’en trouverait-on pas occupés à lire avidement le roman nouveau, si on entrait tout à coup dans leur retraite !

J’ai dit, et je le répète, que les vrais sages et les vrais savants dédaignent tous ces subterfuges, et ouvriront le roman tout aussi franchement que leur tabatière. Je n’en citerai qu’un exemple, sur cent que j’en pourrais donner. Avez-vous, capitaine Clutterbuck, connu le célèbre Watt[1], de Birmingham ? je ne le crois pas, bien qu’il n’eût pas manqué, comme vous l’allez voir, de chercher à lier connaissance avec vous. Il m’arriva un jour de le rencontrer, en corps ou en âme, peu importe : c’était dans une assemblée où se trouvaient dix à douze de nos lumières du Nord, et parmi elles se trouvait, je ne sais trop comment, un homme bien connu dans notre pays, Jedediah Cleishbotham. Ce digne personnage, étant venu à Édimbourg pendant les fêtes de Noël, y semblait une sorte de bête curieuse, un lion, par exemple, que l’on mène en laisse de maison en maison avec les équilibristes, les avaleurs de pierres, et autres faiseurs de tours qui se rendent dans les sociétés particulières, à la demande des amateurs.

Dans cette compagnie était M. Watt, cet homme dont le génie découvrit les moyens de multiplier nos ressources nationales au-delà même de ses immenses calculs et de ses merveilleuses combinaisons ; cet homme qui éleva au-dessus de la terre les trésors enfermés dans l’abîme, qui donna au faible bras de l’homme la force d’un Afrite[2], commanda aux manufactures de se développer, comme la verge du prophète faisait jaillir de l’eau dans le désert ; qui enfin fournit les moyens de se passer du temps et de la marée

  1. Génie étonnant qui a perfectionné à un si haut degré les machines à vapeur, découverte ébauchée par Héron d’Alexandrie, reprise et développée par le Français Salomon de Caus, avant lord Bridgewater, auquel les Anglais l’attribuent par esprit national. a. m.
  2. C’est une sorte de Méduse regardée par les Orientaux comme le plus terrible adversaire des anciens héros de la fable. a. m.