Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/21

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leur maître et leur protecteur. Ces sermons, homélies et lectures avaient fait une profonde impression sur l’esprit de l’abbé Eustache : c’était un étrange aiguillon à la vivacité et à l’animosité qu’il déployait dans ses controverses avec son ancien camarade de collège. Avant la déchéance de la reine Marie, et à une époque où les catholiques étaient encore nombreux et puissants dans les provinces frontières, il avait plus d’une fois menacé de lever ses vassaux, et de venir à leur tête détruire le château d’Avenel, ce repaire redoutable de l’hérésie. Malgré ces menaces impuissantes et le peu de dispositions que le pays montrait en général en faveur de la nouvelle religion, Henri Warden poursuivait sans relâche le cours de ses travaux, et chaque semaine il faisait sur l’Église romaine la conquête de quelques néophytes. Parmi les plus fervents et les plus constants auditeurs du ministre, se trouvait cette vieille femme, dont la taille était trop élevée et l’extérieur trop remarquable, du reste, pour que l’on pût l’oublier une fois qu’on l’avait vue. Lady Avenel en avait été frappée. Plus d’une fois même elle avait désiré savoir quelle était cette grande femme au maintien grave, dont la démarche et les traits semblaient bien au-dessus du rang qu’indiquait la grossièreté de ses habits. On lui avait toujours répondu qu’elle était Anglaise, qu’elle habitait le hameau depuis peu, et que personne n’en savait davantage sur son compte. Cette fois elle lui demanda à elle-même quels étaient son nom et son origine.

« Mon nom est Madeleine Græme[1], répondit l’étrangère ; je descends des Græme de Heathergill, dans la forêt de Nicol ; c’est une ancienne famille.

— Et que faites-vous si loin de vos foyers ? reprit lady Avenel.

— Je n’ai point de foyers ; ils ont été réduits en cendre par vos maraudeurs écossais ; mon mari et mon fils ont été tués. Il ne reste plus une goutte de sang dans les veines d’aucun individu que je puisse appeler mon parent.

— C’est un sort qui n’est que trop commun dans les temps et le pays où nous vivons ; les Anglais ont plongé leurs mains dans notre sang aussi souvent que les Écossais dans le vôtre.

— Vous avez raison de parler ainsi, milady, puisque les hommes se rappellent un temps où ce château ne fut pas assez fort pour sauver la vie de votre père, et pour offrir à votre mère et à son

  1. Ancienne famille dont le chef était l’ami de Wallace. a. m.