Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/87

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moyens pour lesquels nous devons nous fortifier pour parvenir à notre but diffèrent également. À toi, il faut la force du corps, à moi la force de l’âme. »

Après ces mots, elle prépara un lit, composé en partie des feuilles sèches qui jadis avaient servi de couche au solitaire et aux hôtes qui parfois goûtaient son hospitalité : ces débris, négligés par les destructeurs de son humble cellule, étaient restés dans le coin qui leur était destiné. Elle y ajouta quelques vêtements qui se trouvaient en lambeaux épars sur le plancher. Elle choisit tout ce qui paraissait avoir appartenu aux habits sacerdotaux, et mit ces lambeaux de côté, comme trop sacrés pour un usage ordinaire ; du reste elle établit avec une adroite promptitude un lit tel qu’un homme bien fatigué pouvait le désirer. Tandis qu’elle se livrait à ces préparatifs, elle rejeta obstinément toute offre que lui fit le jeune homme de l’aider, et toutes ses instances pour qu’elle acceptât elle-même ce lieu de repos. « Dors, dit-elle, Roland Græme ; dors, orphelin persécuté, déshérité, fils d’une infortunée mère ; dors, je vais prier dans la chapelle près de toi. »

Il y avait dans sa manière trop d’empressement et d’enthousiasme, trop de fermeté obstinée, pour que Roland Græme luttât davantage. Cependant il éprouvait quelque honte à céder. Il semblait que son aïeule eût oublié combien d’années s’étaient écoulées depuis leur rencontre, et qu’elle s’attendît à retrouver dans un jeune homme, flatté dans tous ses goûts, et devenu volontaire, l’obéissance exacte de l’enfant qu’elle avait laissé au château d’Avenel. Cette exigence ne pouvait manquer de blesser l’orgueil naturel au caractère de Roland Græme. Il obéit, forcé à la soumission par le souvenir d’une ancienne subordination, et par des sentiments d’amour et de reconnaissance. Cependant il sentait vivement la pesanteur du joug.

« Ai-je renoncé au faucon et au chien, se dit-il, pour devenir le pupille soumis d’une vieille femme, comme si j’étais encore un enfant, moi que tant de compagnons envieux reconnaissaient eux-mêmes pour supérieur dans les exercices qu’ils apprenaient à si grand’peine, tandis que ces talents m’arrivaient naturellement à moi, comme un privilège de ma naissance ? C’est impossible, et il n’en sera pas ainsi. Je ne veux pas être l’épervier soumis qu’une femme porte, les yeux bandés, sur son poignet, et qui ne voit son but que si l’on découvre ses yeux pour lui faire prendre l’essor. Je veux connaître ses desseins avant d’y concourir. »