Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/353

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marche à une mort certaine, se montrent jaloux de paraître avec avantage. Mais ceci est une digression.

C’était vers le soir d’un jour d’été (le 9 juillet 1575) ; le soleil venait de se coucher, et chacun attendait impatiemment la prochaine arrivée de la reine. La multitude était restée assemblée depuis plusieurs heures, et elle ne cessait de grossir encore. Une abondante distribution de comestibles, de bœufs rôtis et de tonnes de bière, faite sur différents points de la route, avait entretenu la populace dans des sentiments de parfait amour et de dévouement envers la reine et son favori, sentiments qui se fussent quelque peu affaiblis si le jeûne se fût joint à l’attente. Le peuple passait cependant le temps à ses amusements chéris, à crier, huer, hurler, et à se jouer mutuellement de bons tours, ce qui formait un assemblage de sons discordants ordinaire en pareille occasion. Tout cela avait lieu sur les chemins encombrés de monde, au milieu des champs, et principalement en dehors de la porte du parc, où l’affluence du peuple était le plus considérable, quand tout-à-coup une fusée sillonna l’atmosphère, et presque au même instant le son de la grosse cloche du château se fit entendre au loin dans la plaine.

À ce signal il se fit un instant de profond silence, auquel succéda un murmure sourd d’attente formé par les voix réunies de plusieurs milliers d’individus s’efforçant tous de parler bas ; c’était, pour me servir d’une expression singulière, le chuchotement d’une immense multitude.

« Les voici, à coup sûr, dit Raleigh à Tressilian. Ce bruit a quelque chose d’imposant : nous l’entendons dans le lointain de même que les matelots, après un long voyage, entendent pendant leur quart les flots qui viennent se briser sur quelque plage éloignée et inconnue.

— Par la messe, répondit Blount, il me semble plutôt entendre le mugissement de mes vaches dans le pâturage de Wittens-West-Lowe.

— Vous allez le voir brouter lui-même tout à l’heure, dit Raleigh à Tressilian. Il ne rêve que bœufs bien gras et fertiles pâturages. Lui-même ne vaut guère mieux qu’une de ses bêtes à cornes, et il ne devient vraiment beau que lorsqu’on l’irrite et qu’on le met en fureur.

— Nous l’y verrons bientôt, dit Tressilian, si vous ne lui épargnez pas vos plaisanteries.

— Bon ! je ne m’en inquiète guère, répondit Raleigh ; mais, toi aussi, Tressilian, tu es devenu une espèce de hibou qui ne vole que