Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/119

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rendue à la raison par l’alarme et l’horreur qu’elle avait aperçues sur la physionomie de Mordaunt ; « entends-moi, te dis-je. Je ne suis pas de ceux qui se sont ligués avec l’ennemi de l’espèce humaine, et qui tirent leurs talents et leurs pouvoirs de sa protection ; et quoique les esprits surhumains aient été rendus propices par un sacrifice que langue mortelle ne doit jamais énoncer, pourtant Dieu sait que mon crime, en l’offrant, n’était pas plus grand que celui de l’aveugle qui tombe du haut d’un précipice qu’il ne peut ni voir ni éviter. Oh ! ne m’abandonne pas, ne me fuis pas dans cette heure de faiblesse ! Reste avec moi jusqu’à ce que la tentation soit passée, ou je me jetterai dans ce lac, et me délivrerai d’un seul coup de ma puissance et de ma misère. »

Mordaunt, qui avait toujours regardé cette singulière femme avec une espèce d’affection produite sans doute par la bienveillance et l’amitié particulière qu’elle lui avait témoignées dès long-temps, consentit sans peine à reprendre sa place, et à écouter ce qu’elle aurait encore à lui dire, espérant que la violence de son agitation diminuerait peu à peu. Elle ne fut pas long-temps à remporter la victoire que son auditeur attendait, et elle reprit la parole d’un air ferme et avec son autorité habituelle.

« Ce n’était pas de moi, Mordaunt, dit-elle, que j’avais intention de parler, lorsque je t’aperçus du haut de ce rocher, et que je descendis ce sentier pour te rejoindre. Mon sort est fixé sans pouvoir changer ni en pis ni en mieux. Je ne songe plus guère à moi ; mais, pour ceux qu’elle aime, Norna de Filful-Head conserve encore des pensées qui la rattachent à son espèce. Écoute-moi bien : voici un aigle, le plus noble de ceux qui bâtissent leur aire au faîte de ces pics aériens, et dans l’aire de cet aigle s’est glissée une vipère. Consens-tu à me prêter secours pour étouffer le reptile et sauver la noble race du roi des cieux du Nord ? — Il vous faut parler plus clairement, Norna, si vous voulez que je vous comprenne ou vous réponde… Je ne saurais deviner les énigmes. — Sans plus de détour, donc, vous connaissez bien la famille de Burgh-Westra ; les aimables filles du généreux et vieil udaller Magnus Troil, Minna et Brenda, dis-je, vous les connaissez bien, et vous les aimez ? — Je les ai connues, bonne mère, et je les ai aimées… Personne ne le sait mieux que vous. — Les connaître une fois, » dit Norna avec emphase, » c’est les connaître pour toujours… Les aimer une fois, c’est les aimer à jamais. — Les avoir une fois aimées, c’est leur souhaiter du bien à tout jamais, répondit le jeune homme ;