Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/390

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nombre des honnêtes gens, répliqua Bunce. Dites-moi quel est votre métier, et je vous dirai ce que j’en pense. Quant à ce faiseur de punch que voilà, je l’ai reconnu au premier coup d’œil pour être un tailleur, qui autrefois n’avait pas plus de prétentions à être honnête homme que galeux. Et vous, vous êtes quelque riche armateur hollandais, je parie, qui foule aux pieds la croix quand il est au Japon, et renie sa religion pour le gain d’une journée. — Non, répondit l’udaller, je suis propriétaire dans les îles Shetland. — Oh ! bah, repartit le satirique Bunce, vous venez de cet heureux climat où le genièvre coûte un groat la bouteille, et où il fait jour toute l’année ? — À votre service, capitaine, » répliqua l’udaller, réprimant, non sans peine, le ressentiment que faisaient naître en lui ces plaisanteries sur son pays.

« À mon service ! répéta Bunce… Oui, s’il y avait un câble de tendu depuis mon bâtiment naufragé jusqu’au rivage, vous seriez à mon service pour couper le grelin, pour faire épaves et écumes de mon vaisseau et de ma cargaison. Bienheureux encore si vous ne m’appliquiez pas un coup sur la tête avec le dos de la hache… et vous réclamez le titre d’honnête homme ? mais ne faites pas attention… au susdit toast… Et vous, chantez-moi une chanson, monsieur le tailleur, et tâchez qu’elle soit aussi bonne que votre punch. »

Halcro, demandant intérieurement au ciel de lui accorder la puissance d’un nouveau Timothée pour animer sa verve et rabaisser la fatuité de son auditeur, comme avait su faire le glorieux John[1], il entonna une chanson propre à attendrir le cœur, qui commençait par les vers suivants :

Jeunes filles dont la fraîcheur
Égale celle de la rose,
Écoutez mes chants…

« Je ne veux entendre parler ni de jeunes filles ni de roses, interrompit Bunce ; cela me rappelle quelle espèce de cargaison nous

avons à bord ; et par — — ! je veux être fidèle à mon capitaine aussi long-temps que possible… Et je ne boirai pas davantage de punch… Ce dernier verre a fait en moi une révolution, je ne veux pas faire le Cassio cette nuit… et si je cesse de boire, personne ne boira. »

En parlant ainsi, il donna un vigoureux coup de pied dans le

  1. Allusion à la fameuse ode de Dryden, ayant pour titre la Fête d’Alexandre.