Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/181

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ment. Il s’avança en faisant force courbettes et révérences ridicules pour exprimer au cher milord combien il était heureux de le revoir… « J’espère que vous me ramenez le soleil, milord ; vous êtes cause que le soleil et même la lune se retirent de votre pauvre chevalier quand vous l’abandonnez pendant si long-temps. Pardieu[1] ! je crois que vous les emportez dans vos poches. — C’est sans doute parce que vous ne m’y aviez pas laissé autre chose, répondit lord Dalgarno ; mais, monsieur le chevalier, je vous présente mon compatriote et mon ami, lord Glenvarloch… — Ah, ah ! très-honoré… je m’en souviens, j’ai connu autrefois un milord Kenfarloque en Écosse. Oui, je me le rappelle bien… le père de milord apparemment… nous étions intimes lorsque j’étais à Oly-Root avec M. de la Motte… J’ai souvent joué à la paume avec milord Kenfarloque à l’abbaye d’Oly-Root ; il était même plus fort que moi… Ah ! le beau coup de revers qu’il avait ! Je me rappelle aussi qu’auprès des jolies filles c’était un vrai diable déchaîné… ah ! je m’en souviens… — Mieux vaudrait ne pas vous souvenir du tout du feu comte de Glenvarloch, » dit lord Dalgarno, interrompant le chevalier, sans cérémonie ; car il s’aperçut que l’éloge qu’il allait faire du défunt lord serait aussi désagréable au fils qu’il était peu digne du père. En effet, loin d’être un joueur et un libertin, comme le représentaient très-faussement les souvenirs du chevalier, il avait porté, au contraire, pendant sa vie, la régularité et la sévérité de ses mœurs jusqu’à la rigueur.

« Vous avez raison, milord, reprit le chevalier, vous avez raison… Qu’est-ce que nous avons à faire avec le temps passé ?… Le temps passé appartenait à nos pères, à nos ancêtres, c’est très-bien… le temps présent est à nous… ils ont de jolis tombeaux de marbre ou d’airain, couverts d’épitaphes et d’armoiries, et nous, nous avons nos petits plats exquis et la soupe à la chevalière, que je vais faire dresser tout de suite. »

En parlant ainsi, il fit une pirouette sur le talon, et alla donner des ordres à ses domestiques pour qu’on servît le dîner. Dalgarno se mit à rire, et remarquant que son jeune ami avait l’air grave, il lui dit d’un ton de reproche : « Eh bien ! qu’avez-vous ? j’espère que vous n’êtes pas assez simple pour vous mettre en colère contre un pareil âne ? — Je me flatte de savoir réserver ma colère pour de plus dignes sujets, répondit lord Glenvarloch ; mais j’avoue que je n’ai pu me défendre d’un mouvement d’indi-

  1. Tous les mots soulignés sont en français dans le texte. a. m.