Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/240

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placé de travers sur leur tête, et dont une partie s’échappait par les trous dudit chapeau. Leurs vestes de pluche passée, leurs larges pantalons, leurs ceinturons gras et sales, leurs écharpes déteintes, et surtout l’espèce d’ostentation avec laquelle l’un portait son sabre, et l’autre un poignard et une rapière d’une longueur extravagante, offraient l’accoutrement obligé d’un ferrailleur alsacien, caractère bien connu alors, et qui continua de l’être pendant environ un siècle.

« Regarde, » dit l’un de ces drôles à l’autre, « comme cette fille fait la coquette avec ces étrangers. — Je flaire un espion, » dit l’autre en regardant Nigel ; « enfonce-lui ton poignard dans les yeux. — Doucement, doucement, reprit le premier ; celui qui l’accompagne est Reginald Lowestoffe, qui a la langue si bien pendue… Je le connais, c’est un bon garçon et un familier de la province… »

Là-dessus ils répandirent de nouvelles bouffées de fumée, et continuèrent leur route sans rien ajouter.

« Crasso in are[1], dit l’étudiant, vous voyez la belle réputation que me font ces coquins… Mais si cela peut être utile à Votre Seigneurie, j’en prends volontiers mon parti. Et maintenant permettez-moi de vous demander, milord, quel nom vous voulez prendre, car nous sommes près du palais du duc Hildebrod ? — Je m’appellerai Grahame ; répondit Nigel ; c’était le nom de ma mère. — Grime[2], répéta l’étudiant, cela conviendra très-bien à l’Alsace ; car c’est un lieu où l’on n’entre pas sans faire la grimace, et qui vous la fait aussi. — J’ai dit Grahame, » reprit Nigel d’un ton un peu bref, en appuyant avec force sur la voyelle ; car les Écossais en général n’entendent pas raillerie au sujet de leur nom.

« Je vous demande pardon, milord, » répondit l’imperturbable calembouriste ; « mais graam ne conviendra pas moins à la circonstance ; car ce mot veut dire, en bon allemand, tribulation, et, dans ce moment, Votre Seigneurie peut être considérée comme un homme qui n’en manque pas. »

Nigel ne put s’empêcher de rire de la persévérance de l’étudiant, et celui-ci, lui montrant une enseigne représentant ou faite pour représenter un chien attaquant un taureau et lui sautant à la tête, « C’est ici, dit-il, que le brave duc Hildebrod distribue des lois, de l’ale et des liqueurs fortes à ses fidèles Alsa-

  1. Dans un air épais. a. m.
  2. Mot qui signifie en anglais renfrogné. a. m.