Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/377

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il fut l’inventeur. Vous riez, fanfan Charles ? Faites bien attention à ce que je dis. Lorsque j’arrivai ici de notre pays, où les hommes sont aussi rudes que le climat, l’Angleterre me parut un pays d’élus. On aurait cru que le roi n’avait autre chose à faire que de laisser aller sa barque sur une eau paisible, peraquam refectionis ; mais, je ne sais pas pourquoi, maintenant le pays a changé de face. Lisez ce libelle sur nous et notre gouvernement : les dents du dragon sont semées. Fanfan Charles, je prie Dieu qu’elles ne produisent pas leurs moissons armées sous votre règne, si je ne suis pas destiné à les voir : et Dieu veuille m’en préserver, car ce sera un jour terrible que celui-là ! — Je saurai bien arrêter les progrès de cette moisson avant qu’elle soit mûre, n’est-ce pas, George ? » dit le prince en se tournant vers le favori avec un regard où se peignait un peu de mépris pour les craintes de son père, et une grande confiance dans l’énergie de son caractère, et de résolution.

Pendant ce discours, Nigel, sous la garde d’un écuyer, était entraîné à travers la petite ville de Greenwich : et tous les habitants, qu’avait alarmés le bruit d’une tentative contre la vie du roi, se pressaient en foule pour voir le prétendu assassin. Au milieu de cette confusion, il distingua la figure du traiteur, arrêté à le regarder avec un étonnement stupide, et celle du barbier faisant une grimace qui exprimait non moins de curiosité que d’horreur. Il lui sembla aussi apercevoir le batelier à la jaquette verte.

Il n’eut pas le temps de faire d’autres remarques ; l’écuyer, accompagné de deux soldats de la garde, l’ayant fait entrer dans une barque, commença à remonter la rivière avec autant de rapidité que les bras de six rameurs vigoureux, luttant contre le courant, pouvaient en donner. Ils traversèrent la forêt de mâts qui, même alors, remplissait d’étonnement l’étranger, et lui donnait une haute idée du commerce de Londres, et furent bientôt près de ces murs noircis et de ces bastions écrasés où l’on aperçoit çà et là une pièce de canon, où se montre de temps à autre une sentinelle solitaire sous les armes, mais qui du reste rappellent fort peu l’extérieur redoutable et imposant d’une citadelle. Une voûte saillante et basse, qui vit passer plus d’une tête innocente et plus d’une tête coupable, couvrait déjà de son ombre épaisse la tête de Nigel. Le bateau vint aborder tout près des larges degrés que la rivière mouille de ses vagues oisives. Le gar-