Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/100

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ment, ensuite je m’arrêtai, puis je me retournai, et alors je commençai à m’inquiéter de ce qu’elle pouvait être devenue ; enfin je pensai que je m’étais conduit comme un âne dans cette affaire. — C’est ce que je nie, dit Whitaker ; jamais âne ne se fût conduit si bêtement ; mais poursuivez. — Ayant fait alors volte face vers le château, je revenais sur mes pas comme si le nez m’eût saigné, quand, arrivé près de Copely-Thorn, qui est, comme vous savez, à une portée de flèche de la poterne du château, je vis tout à coup madame Deborah en conférence intime avec l’ennemi. — Quel ennemi ? demanda l’intendant. — Quel ennemi ! Bridgenorth lui-même, ne vous déplaise. Ils semblaient chercher à se cacher dans le taillis. Parbleu, pensais-je, j’aurai bien du malheur si je ne puis vous débusquer comme j’ai débusqué tant de daims. Si j’étais assez maladroit pour cela, je serais capable de donner mes flèches pour embrocher des puddings. Je fis donc un circuit autour du buisson, afin de les surprendre, et puissé-je ne jamais bander un arc, si je n’ai vu Bridgenorth lui prendre la main et lui donner de l’or. — Est-ce là tout ce qui s’est passé entre eux ? demanda l’intendant. — Ma foi, c’en était bien assez pour me démonter de ma cavale, dit Lance. Quoi ! lorsque je croyais avoir la plus jolie fille du château, voir qu’elle me donnait le sac à garder, et qu’elle faisait la contrebande dans un coin avec un vieux et riche puritain, vous trouvez que ce n’est pas assez ? — Crois-moi, Lance, il y a là autre chose que ce que tu t’imagines, dit Whitaker. Bridgenorth ne se soucie guère de ces folies amoureuses dont tu es si fort occupé. Mais il est à propos que notre maître sache qu’il s’est entretenu secrètement avec Deborah, et qu’il lui a donné de l’or ; car jamais puritain n’en a donné que ce ne fût pour récompenser quelque œuvre diabolique faite ou à faire. — Mais, reprit Lance, je ne suis pas encore un chien assez mal dressé pour trahir la pauvre fille, et aller l’accuser devant notre maître. Qu’elle passe sa fantaisie, elle en a le droit, comme dit la dame qui caressait sa vache ; seulement je pense qu’elle aurait pu mieux choisir, voilà tout. Il ne saurait diminuer ses cinquante années ; et une physionomie de verjus sous l’auvent d’un castor rabattu, un sac plein d’os secs et décharnés, couvert d’un habit noir râpé, ne sont pas, il me semble, des objets faits pour donner des tentations. — Je vous le dis encore, reprit Whitaker, vous êtes dans l’erreur : il n’y a pas, il ne peut point y avoir d’amour entre eux dans cette affaire ;