Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/157

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commença à se mouvoir avec grâce au son du vieil air anglais, tandis que son père, suivant de l’œil chacun de ses pas légers, remarquait avec joie les teintes vives et brillantes dont ses joues se coloraient à mesure qu’elle dansait. Lorsqu’elle eut fini, il la serra tendrement dans ses bras, écarta doucement de sa main paternelle les boucles de cheveux qui tombaient un peu en désordre sur son front, y déposa un baiser en souriant, et partit sans prononcer un seul mot de plus pour interdire un exercice qui produisait des effets si salutaires. Il ne jugea pas à propos de communiquer lui-même à mistress Christian le résultat de sa visite à Black-Fort ; mais elle ne tarda pas à l’apprendre par mistress Deborah, qui ne put s’empêcher de proclamer sa victoire dans la première visite qu’elle rendit à la veuve.

« C’est fort bien, » dit la vieille dame d’un ton sévère, « mon frère Bridgenorth vous a permis de faire de sa fille une Hérodiade[1] en permettant qu’elle apprenne à danser ; il ne vous reste plus qu’à lui choisir un partenaire pour figurer avec elle durant la vie. Comme il vous plaira ; quant à moi, je ne veux plus m’en mêler. »

En somme, le triomphe de dame Deborah, ou plutôt de dame Nature, en cette occasion, eut des résultats plus heureux que la gouvernante elle-même n’avait osé l’espérer. Pour mistress Christian, quoiqu’elle reçût avec tout le décorum possible les visites de formalité que lui faisaient Alice et Deborah, elle conserva tant de ressentiment du peu d’effet que ses remontrances avaient produit sur l’énorme péché dont sa nièce se rendait coupable en dansant au son d’une pochette, qu’elle parut avoir renoncé à se mêler de leurs affaires, et que dame Deborah Debbitch resta, à son grand contentement, maîtresse de diriger, comme elle l’entendrait, l’éducation d’Alice et le ménage, choses auxquelles la vieille tante s’était jusqu’alors très-vivement intéressée.

Elles vivaient dans cet heureux état de tranquillité et d’indépendance lorsque Julien visita pour la première fois leur habitation ; et il fut d’autant plus encouragé par la gouvernante à revenir, qu’elle voyait en lui le dernier des hommes avec lequel mistress Christian aurait voulu que sa nièce entretînt des relations, l’heureux esprit de contradiction poussant Deborah en cette cir-

  1. Hérodiade était la mère de Salomé, qui obtint d’Hérode Antipas, son oncle, la tête de saint Jean-Baptiste, pour quelques pas exécutés avec grâce devant lui Die autem natali Herodis saltavit filia Herodiadis in medio, et placuit Herodi S. Matth. c. xiv. L’auteur a donc commis ici une légère méprise, en substituant Hérodiade à Salomé. a. m.