Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/160

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tes à Black-Fort ; et s’il soulagea quelque peu dame Deborah de ses craintes secrètes, il répandit en même temps sur les traits d’Alice un air de langueur et d’abattement qui renouvela toutes les terreurs de Bridgenorth sur la santé de sa fille, la première fois qu’il revint visiter l’île de Man.

Deborah promit qu’elle aurait meilleur visage le lendemain matin, et elle tint parole. Elle avait gardé en sa possession depuis quelque temps une lettre que Julien lui avait envoyée pour sa jeune amie. Elle avait craint de la remettre comme billet doux ; mais de même que pour les leçons de danse, elle ne vit aucun inconvénient à la donner comme remède salutaire.

Il eut en effet tout le succès attendu ; et, le jour suivant, les joues de la jeune fille offraient une teinte de rose qui charma tellement les yeux et le cœur de son père, qu’en montant à cheval il glissa une bourse dans la main de Deborah, en lui recommandant de ne rien épargner de ce qui pouvait contribuer au bonheur de sa fille et au sien, et de nouveau il l’assura de toute sa confiance.

Cette preuve de générosité et de confiance de la part d’un homme aussi réservé et aussi méfiant que le major Bridgenorth donna un nouvel essort aux espérances de Deborah, et l’enhardit non seulement à remettre une seconde lettre de Julien à Alice, mais encore à encourager, plus ouvertement qu’elle ne l’avait fait encore, la liaison des deux amants, lorsque Julien fut de retour.

En dépit de toutes les précautions de ce dernier, le jeune comte finit par soupçonner que les exercices si fréquents de son ami dans cet endroit solitaire avaient un autre motif que la pêche ; et Julien lui-même, plus versé maintenant dans la connaissance du monde, ne tarda pas à sentir que ses visites réitérées, que ses promenades tête-à-tête avec une personne aussi jeune et aussi belle qu’Alice, pouvaient non seulement trahir le secret de son amour, mais encore nuire essentiellement à celle qui en était l’objet.

Frappé de cette idée, il s’abstint plus long-temps que de coutume de paraître à Black Fort ; mais la première fois qu’écoutant le besoin de son cœur il osa revenir dans le lieu qu’il n’aurait jamais voulu quitter, le changement survenu dans les manières d’Alice, le ton avec lequel elle sembla lui reprocher sa négligence, pénétrèrent jusqu’à son âme, et lui enlevèrent tout à coup l’empire que jusque-là il avait conservé sur lui-même. Il n’eut besoin que de quelques paroles énergiques pour faire comprendre à Alice