Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/202

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mère, dit le comte, aime le pouvoir, quoiqu’il lui ait coûté cher. Je voudrais pouvoir dire avec vérité que ma négligence à l’égard des affaires m’est inspirée par le désir de le laisser entre ses mains, et que des motifs plus louables se joignent à mon indolence naturelle ; mais elle semble avoir craint cette fois que mon opinion, dans cette circonstance, ne fût pas d’accord avec la sienne ; et elle a eu raison de le supposer. — Comment avez-vous appris ce danger, et sous quelle forme se présente-t-il ? demanda Julien.

— Vous allez comprendre, dit le comte. Je n’ai pas besoin de vous rappeler l’affaire du colonel Christian. Cet homme, outre sa veuve (dame Christian de Kirk-Truagh, qui possède des propriétés considérables, et dont vous avez sans doute entendu parler, que peut-être même vous avez vue), a laissé un frère nommé Édouard Christian, que vous n’eûtes jamais occasion de voir. Or, ce frère… Mais je suis sûr que vous savez tout cela. — Non, sur mon honneur, répondit Peveril. Vous n’ignorez pas que la comtesse parle rarement de ce qui peut avoir rapport à ce sujet.

— Et cela, reprit le comte, parce qu’au fond du cœur elle est peut-être quelque peu honteuse de ce vaillant acte de royauté et de juridiction suprême dont les conséquences ont été si funestes à mes domaines. Eh bien donc, cousin, ce même Édouard Christian était un des deemsters ou juges de cette époque, et naturellement il fut assez peu disposé à approuver la sentence qui condamnait son aîné à être tué comme un chien. Ma mère, alors dans toute la plénitude de la puissance, et qui ne souffrait pas volontiers que qui que ce fût contredît ses décisions, aurait de bon cœur accommodé le juge à la même sauce à laquelle elle avait mis son frère, s’il n’avait eu la prudence de s’échapper de l’île. Depuis ce temps, on a de part et d’autre laissé dormir l’affaire ; et quoique nous sachions que le deemster Christian fasse de temps à autre des visites secrètes dans l’île, avec deux ou trois autres puritains de la même trempe, notamment avec un coquin à oreilles longues nommé Bridgenorth et beau-frère du défunt, ma mère, grâce au ciel, a eu assez de bon sens pour user d’indulgence à leur égard, bien qu’elle paraisse avoir certaines raisons de suspecter particulièrement ce Bridgenorth. — Et pourquoi, » dit Peveril, en faisant un effort pour parler et en cherchant à cacher la surprise très-désagréable qu’il éprouvait, « pourquoi la comtesse se départ-elle aujourd’hui de sa conduite si prudente ?

— Ah ! c’est que maintenant le cas est tout différent. Ces coquins