Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/220

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que nous ayons à prendre est de nous séparer, et je rends grâces au ciel qui m’accorde assez de lumières pour reconnaître votre folie et la mienne, et assez de force pour y résister. Adieu donc, Julien ; mais d’abord écoutez l’avis solennel pour lequel je vous ai mandé ici : fuyez mon père ; car vous ne pouvez marcher dans les mêmes voies que lui et rester fidèle à la reconnaissance et à l’honneur. Quelque purs et honorables que soient les motifs de ses actions, vous ne pouvez le seconder qu’en obéissant aux inspirations d’une passion folle, égoïste, ennemie de tous les devoirs qui vous furent imposés lorsque vous reçûtes le jour. — Encore une fois, Alice, je ne vous comprends pas, répéta Julien ; si une action est bonne en elle-même, il est utile de chercher sa justification dans les motifs qui l’ont dictée ; si au contraire elle est mauvaise en elle-même, il n’y a aucune justification à chercher. — Vos sophismes ne peuvent pas plus m’aveugler, Julien, reprit Alice, que votre passion ne peut me subjuguer. Si le Patriarche avait dévoué son fils à la mort par tout autre motif que celui de la foi et d’une humble soumission au commandement de Dieu, il eût médité un meurtre, et non un sacrifice. Pendant nos guerres funestes et sanguinaires, combien d’hommes ont tiré l’épée de part et d’autre par les motifs les plus honorables et les plus purs : et combien d’autres par ambition criminelle, intérêt personnel, amour du pillage ? Cependant, bien qu’ils aient combattu dans les mêmes rangs et que leurs chevaux aient obéi au son de la même trompette, la mémoire des premiers est chère à nos cœurs comme celle de nobles et fidèles patriotes, tandis que celle des derniers est tombée dans l’exécration ou dans l’oubli. Encore une fois, je vous en avertis, fuyez mon père, évitez-le ; quittez cette île qui sera bientôt bouleversée par d’étranges événements. Tant que vous y resterez, méfiez-vous de tout, même de ceux auxquels il paraît impossible que l’ombre du soupçon s’attache ; ne vous confiez pas même aux pierres de l’appartement le plus secret d’Hulm-Peel, car elles ont des ailes qui porteraient au loin vos confidences.

Ici Alice tressaillit tout à coup et poussa un cri d’effroi, car un homme sortit brusquement du taillis où il s’était tenu caché, et son père parut à ses regards.

C’était la seconde fois que les entretiens secrets des deux amants étaient interrompus par l’apparition inattendue du major Bridgenorth. En cette occasion, sa figure exprimait un courroux qui avait quelque chose de solennel, comme celui d’un esprit qui