Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/241

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la lettre suivante, pour lui faire connaître sa situation, autant qu’il le pouvait sans compromettre les intérêts de la comtesse.

« Je vous quitte, chère Alice, et, quoiqu’en agissant ainsi je ne fasse qu’obéir aux ordres que vous m’avez donnés, je ne prétends pas que vous me sachiez gré d’une telle soumission, puisque, sans les raisons impérieuses qui sont venues à l’appui de vos ordres, je ne me serais pas senti la force de les exécuter. Mais des affaires de famille d’une grande importance me forcent à m’absenter de cette île, et j’ai lieu de craindre que ce ne soit pour plus d’une semaine. Mes pensées, mes espérances, mes désirs se porteront sans cesse vers l’heureux moment qui me ramènera à Black-Fort et dans son aimable vallée. Permettez-moi d’espérer que les vôtres auront quelquefois pour objet celui qui jamais n’aurait pu se résoudre à s’exiler loin de vous, si la voix de l’honneur et du devoir ne le lui eût commandé. Ni vous ni votre père n’avez à craindre que je veuille vous engager à entretenir avec moi une correspondance particulière. Je ne vous aimerais pas autant que je vous aime sans la candeur et la franchise de votre caractère, et je ne demande pas que vous cachiez au major Bridgenorth une syllabe de ce que je vous écris. Sur toute autre matière, il ne peut lui-même désirer plus ardemment que moi le bien de notre patrie commune. Nous pouvons différer d’avis sur les moyens de l’obtenir ; mais, en principe, je suis persuadé qu’un seul et même esprit nous anime tous deux ; et je ne dois pas refuser d’écouter la voix de son expérience et de sa sagesse, quand même elle ne pourrait parvenir à me convaincre. Adieu, Alice, adieu ! Que de choses je pourrais ajouter à ce triste mot ! mais où trouver des expressions pour peindre l’amertume que je sens en l’écrivant ! Et pourtant, je l’écrirais encore bien des fois pour prolonger le dernier entretien que je dois avoir avec vous d’ici à quelque temps. Ma seule consolation est de penser que mon absence ne sera pas assez longue pour vous donner le temps d’oublier celui qui ne vous oubliera jamais. »

Il tint sa lettre entre ses mains pendant quelques minutes avant de la cacheter, examinant en lui-même s’il ne s’était pas exprimé touchant le major, de manière à laisser entrevoir qu’il fût disposé à devenir l’un de ses prosélytes ; ce que, dans sa conscience, il reconnaissait comme tout à fait incompatible avec l’honneur. D’un autre côté, cependant, il n’avait aucun droit de conclure de tout ce qu’avait dit Bridgenorth que leurs opinions fussent diamé-