Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se dit-il à lui-même, « Constance ! » Et, comme s’il eût cherché dans le ciel quelque rapport avec le sujet favori de ses rêveries, il fixa ses regards sur l’étoile polaire, dont la lumière scintillante brillait ce soir-là d’un éclat peu ordinaire. Il trouvait un charme inexprimable à observer cette clarté douce et constante, emblème d’une passion pure et d’une volonté ferme ; et pendant cette méditation, chacune de ses pensées, comme dirigée par l’influence de cet astre, semblait prendre un essor plus noble et plus sublime. Contribuer à assurer à son pays le bonheur et les bienfaits de la paix intérieure, s’acquitter avec zèle des devoirs que lui imposaient la reconnaissance et l’amitié, quelque périlleux qu’ils fussent, et considérer son amour pour Alice comme l’étoile protectrice qui devait le guider à de nobles exploits : telles étaient les résolutions que formait son esprit, et qui plongeaient son âme dans une mélancolie romanesque, préférable peut-être aux plus vifs transports de la joie.

Sa contemplation durait encore lorsque quelqu’un vint d’un mouvement léger se placer tout près de lui, et un soupir de femme se fit entendre de manière à troubler ses rêveries. Il tourna la tête et vit Fenella assise à son côté, les regards fixés sur la même étoile. Ce ne fut pas d’abord sans un peu de mauvaise humeur ; mais il était impossible d’en conserver long-temps contre un être si malheureux sous tant de rapports, si intéressant sous tant d’autres, contre une jeune fille dont les grands yeux noirs brillaient, humides de larmes, à la clarté de la lune, et dont l’émotion semblait prendre sa source dans une tendresse digne au moins de l’indulgence de celui qui en était l’objet. Julien résolut alors de profiter de cette occasion pour représenter à Fenella, autant qu’elle pouvait le comprendre, combien sa conduite était étrange. Il lui prit les mains avec affection, mais en même temps avec gravité ; lui montra la barque, puis le château, dont les tours et les longues murailles étaient à peine visibles encore à la distance où ils étaient, voulant par là lui faire entendre qu’elle ne pouvait se dispenser de retourner à Holm-Peel. Elle baissa les yeux, et secoua la tête d’une manière négative, qui marquait une résolution bien arrêtée. Julien recommença ses représentations, employant successivement le langage des yeux et celui des gestes : il mit la main sur son cœur pour désigner la comtesse ; il fronça le sourcil pour lui indiquer le mécontentement qu’elle éprouverait de son absence. À tout cela la jeune fille ne répondit que par des pleurs.