Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/254

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« J’espère, dit Peveril, que les moyens employés pour la déterminer à partir n’auront pas été trop violents, et qu’elle n’aura fait aucune folle résistance ?

« Aucune résistance ! mein Gott ! s’écria le capitaine ; elle a résisté comme un escadron de cavalerie ; elle criait à se faire entendre de Whitehaven ; elle grimpait aux cordages comme un chat sur une cheminée ; mais elle en a l’habitude, c’est un tour de son ancien métier. — De quel métier voulez-vous parler, dit Peveril ? — Oh ! dit le capitaine, je la connais mieux que vous, mein herr ; je l’ai connue toute petite fille ; elle appartenait à un seiltanzer, lorsque cette milady de là-bas a eu la bonne fortune de l’acheter. — Un seiltanzer ! que voulez-vous dire par ce mot ? — Je veux dire un danseur de corde, un jongleur, un faiseur de tours. Je connaissais fort bien Adrien Brackel : il vendait des poudres, qui vidaient les estomacs des autres et remplissaient sa bourse. Ah ! mein Gott ! j’ai bien connu Adrien Brackel, j’ai fumé plus d’une livre de tabac avec lui. »

Peveril se ressouvint alors que Fenella avait été attachée à la famille pendant un voyage que la comtesse avait fait sur le continent, et lorsque le jeune comte et lui étaient en Angleterre. La comtesse ne leur avait jamais dit où elle avait trouvé cette jeune fille ; elle leur avait donné seulement à entendre qu’elle s’en était chargée par compassion, afin de la tirer d’une situation très-misérable. Julien fit part de ces détails au communicatif capitaine ; celui-ci répondit qu’il ne savait rien de cette situation misérable, sinon qu’Adrien Brackel avait coutume de battre la petite fille quand elle ne voulait pas danser, et qu’il la laissait mourir de faim pour l’empêcher de grossir et de grandir. Quant au marché entre la comtesse et le jongleur, c’était lui-même qui l’avait fait, la comtesse ayant loué son sloop pour le voyage au continent. Personne que lui ne savait d’où venait la muette. La comtesse l’avait vue sur un théâtre d’Ostende, et elle avait eu pitié de sa triste condition et de la manière dont elle était traitée. Mylady l’avait chargé alors d’acheter la pauvre créature, et lui avait recommandé le plus grand silence envers les gens de sa suite. « Aussi le gardé-je, » ajouta ce scrupuleux confident, « quand je suis dans le port de Man ; mais quand je suis au large, je suis maître de ma langue, comme vous savez. Les superstitieux insulaires disent que c’est une wechselbalg, ce que vous appelez, vous autres, un lutin, un enfant supposé. N’ont-ils donc jamais vu de