Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/385

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naturel, elle commença à danser avec une grâce infinie, en suivant l’air que jouait le flageolet.

Peveril oublia presque la présence du roi, quand il vit avec quelle grâce et quelle agilité admirable Fenella se conformait à la mesure, dont elle ne pouvait avoir connaissance que par le mouvement des doigts du musicien, il avait, à dire vrai, entendu parler, entre autres prodiges, d’une personne qui, se trouvant dans la triste situation de Fenella, était parvenue, à l’aide d’un tact mystérieux et dont on ne pouvait se rendre compte, à jouer d’un instrument, et même à exécuter avec assez de perfection pour être en état de diriger un orchestre ; il avait encore ouï parler de sourds-muets dansant avec assez de mesure en se dirigeant sur les personnes qui dansaient avec eux. Mais la danse de Fenella était encore plus étonnante, puisque le musicien avait pour guide les notes écrites, et le danseur les mouvements de son partenaire ; tandis que Fenella n’était dirigée que par le simple mouvement des doigts de l’artiste, qu’elle suivait avec une précision admirable en paraissant observer la manière dont il les faisait agir sur l’instrument.

Quant au roi, ignorant les circonstances particulières qui rendaient la danse de Fenella presque merveilleuse, il se contenta d’abord d’autoriser par un sourire bienveillant ce qui lui paraissait un caprice de la part de cette singulière personne. Mais lorsqu’il vit l’aplomb, la justesse exquise et l’étonnant mélange de grâce et d’agilité avec lesquels elle exécutait sur son air favori une danse entièrement nouvelle pour lui, Charles changea le simple consentement qu’il avait paru donner en applaudissements qui tenaient de l’enthousiasme. Il suivait tous ses mouvements en battant la mesure avec le pied, applaudissait de la tête et des mains, et semblait entraîné comme elle par une sorte de transport.

Après une suite d’entrechats qui se succédèrent avec rapidité sans perdre de leur grâce, Fenella introduisit un mouvement lent par lequel elle termina sa danse : puis, faisant une profonde révérence, elle demeura immobile devant le roi, les bras en croix sur la poitrine, la tête inclinée et les yeux fixés en terre, à la manière des esclaves de l’Orient ; tandis qu’à travers le voile épais que formaient les nombreuses boucles de ses cheveux, on pouvait voir les couleurs que l’exercice avait données à ses joues disparaître rapidement, et faire place à la teinte naturellement brune de sa peau.