Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/483

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cat approche de l’objet aimé. Il avait été, pour me servir d’un mot français fort expressif, trop complètement blasé, même dès sa première jeunesse, pour ressentir l’empressement instinctif de l’un, et surtout le plaisir plus sentimental de l’autre. Ce qui aggrave encore cet état de satiété et de dégoût, c’est que le voluptueux ne peut renoncer aux jouissances dont il est rassasié ; il est forcé de continuer, soit par égard pour sa réputation, soit par la simple force de l’habitude, à braver les peines, les fatigues, et les dangers d’une poursuite qu’il a réellement peu d’intérêt à terminer heureusement.

Buckingham crut donc devoir à sa réputation, comme héros toujours heureux d’intrigues amoureuses, de présenter ses hommages à Alice Bridgenorth avec un empressement feint ; et, au moment d’ouvrir la porte du salon, il s’arrêta pour réfléchir si c’était le ton de la galanterie ou celui de la passion qu’il lui convenait de prendre dans cette circonstance. Ce délai suffit pour qu’il entendît quelques sons d’un luth touché avec un talent exquis, et accompagné des accents plus mélodieux encore d’une voix de femme qui, sans exécuter précisément aucun air, semblait prendre plaisir à rivaliser avec le son argentin de l’instrument.

« Une créature si bien élevée, et qu’on dit être si sensée, pensa le duc, ne manquerait pas, toute campagnarde qu’elle est, de rire des tendres déclamations d’un Orondate ; c’est la verve de Dorimont qui convient ici : elle fut jadis la tienne, Buckingham. Et puis ce rôle est plus facile. »

Cette détermination une fois prise, il entra dans le salon, avec l’aisance gracieuse qui caractérisait les gais courtisans parmi lesquels il fleurissait, et il s’approcha de la belle captive, qu’il trouva assise près d’une table couverte de livres et de musique. À gauche, était une large fenêtre entr’ouverte, dont les verres de couleur n’admettaient qu’un jour douteux dans ce magnifique appartement, qui, tendu des plus riches tapisseries des Gobelins, et orné de superbes porcelaines de Chine, ainsi que de glaces superbes, semblait être un boudoir décoré par un prince pour recevoir sa fiancée.

Le splendide costume de la jeune personne correspondait au luxe de l’appartement qu’elle habitait, et tenait de ce goût oriental que la fameuse Roxelane avait alors mis à la mode. Une jambe bien faite et un pied mignon, qui sortaient d’un large pantalon de satin bleu richement brodé, étaient les seules parties de son