Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

flexion parut le rappeler à lui, et il détourna son visage. La comtesse poursuivit sans avoir remarqué ce mouvement, qui n’échappa point à lady Peveril, et lui causa d’autant plus de surprise qu’elle connaissait l’esprit indifférent et apathique du major. Ce signe d’un intérêt prononcé l’étonna donc beaucoup. Elle aurait bien voulu engager de nouveau la comtesse à passer dans un autre appartement, mais celle-ci continuait à parler avec trop de véhémence pour se laisser interrompre.

« Ce Christian, dit-elle, avait mangé le pain et bu le vin de mon époux, de son souverain, depuis son enfance, car ses aïeux avaient toujours été de fidèles serviteurs de la maison de Man et le Derby. Lui-même avait combattu bravement à côté de son maître, et il jouissait de toute sa confiance. Lorsque le comte tomba martyr des rebelles, j’en reçus un dernier message dans lequel il me recommanda vivement, entre autres instructions, de continuer à avoir confiance en la fidélité de Christian. Je lui obéis, bien que jamais je n’eusse aimé cet homme. Il était flegmatique, froid, totalement dépourvu de ce feu sacré qui inspire les nobles actions, et soupçonné fortement de pencher vers les subtilités métaphysiques du calvinisme. Cependant il était brave, prudent, il possédait une profonde expérience ; et, comme l’événement le prouva, il n’avait que trop de crédit parmi les insulaires. Quand ce peuple rude et sauvage se vit sans espérance de secours, et pressé par un blocus qui avait introduit dans l’île la famine et les maladies, il commença à se départir de la fidélité qu’il avait gardée jusque-là. — Quoi ! interrompit lady Peveril, ont-ils pu oublier ce qu’ils devaient à la veuve de leur bienfaiteur, à celle qui, de concert avec le généreux Derby, avait amélioré leur condition ? — Ne les blâmez pas, reprit la comtesse ; ces insulaires presque sauvages ne pouvaient agir que d’après leur naturel sans culture : un nouveau malheur leur fait oublier les bienfaits anciens. Habitant de misérables huttes, accoutumés à des mœurs et à des idées parfaitement en harmonie avec ces déplorables demeures, ils devaient être incapables d’apprécier la gloire qui s’attache à la constance et au courage dans l’infortune. Mais, que Christian se soit mis à la tête de leur révolte, lui né gentilhomme et élevé par les soins mêmes du comte de Derby, de ce héros assassiné ; lui nourri dans tous les sentiments nobles et chevaleresques, qu’il ait oublié nos bienfaits, qu’il ait oublié ces tendres relations qui attachent l’homme à l’homme bien plus