Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/92

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rompit la comtesse, mais non enfant unique. Vous accorderiez trop de privilèges à ce sexe, qui en a déjà tant, si vous souffriez que Julien s’emparât seul de toute votre affection, et n’en laissât pas un peu pour cette jolie petite fille. »

En parlant ainsi, elle quitta Julien, et, prenant Alice sur ses genoux, elle commença à la caresser. Malgré le caractère mâle de la comtesse, il y avait quelque chose de si doux dans le son de sa voix et l’expression de son visage, que l’enfant lui sourit aussitôt et répondit à ses embrassements. Cette méprise embarrassait extrêmement lady Peveril. Connaissant l’impétuosité naturelle de son mari, son dévouement à la mémoire du feu comte de Derby, et son respect pour sa veuve, elle s’effrayait des conséquences que pouvait avoir le récit de la conduite de Bridgenorth pendant cette matinée, et elle désirait vivement qu’il ne l’apprît que par elle et après y avoir été préparé. Mais l’erreur de la comtesse amena un éclaircissement beaucoup plus précipité qu’elle ne l’aurait voulu.

« Cette jolie petite fille, madame, n’est pas à nous, répondit sir Geoffrey, et je voudrais qu’elle nous appartînt. Elle est l’enfant d’un de nos proches voisins, bon et brave homme, quoique, dans ces derniers temps, il ait été détourné de sa fidélité à son souverain par un damné presbytérien, qu’il appelle ministre, et que j’espère renverser bientôt de son perchoir, en l’avertissant de prendre garde à lui. Ce drôle a été assez long-temps le coq de la basse-cour ; il y a des verges maintenant pour secouer la poussière de son manteau de Genève ; c’est ce que je puis assurer à ces faces blêmes de presbytériens. Mais cette enfant, milady, est la fille de Bridgenorth, le voisin Bridgenorlh de Moultrassie-House. — Bridgenorlh ! s’écria la comtesse ; je croyais connaître tous les noms des familles honorables du Derbyshire. Je n’ai pas souvenir de celui de Bridgenorth. Mais attendez, n’y a-t-il pas dans le comité des séquestres un homme de ce nom ? Évidemment ce ne peut être lui. »

Peveril, non sans éprouver une sorte de honte, répondit : « C’est précisément l’homme dont vous parlez, milady, et vous pouvez concevoir la répugnance avec laquelle je me suis déterminé à recevoir des services d’un individu de cette espèce. Mais si je n’avais pas agi comme je l’ai fait, j’ignore si j’aurais trouvé un asile pour Marguerite. »

Tandis qu’il parlait ainsi, la comtesse posa doucement l’enfant