Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/153

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corps de plusieurs chiens, et mit toute la meute en déroute ; puis, animé par les clameurs et les menaces des chasseurs, il emporta le cardinal tout épouvanté jusqu’au delà du formidable animal, qui fuyait avec autant de rapidité que de furie, et pour ainsi dire enveloppé de l’écume qu’il soufflait à travers ses défenses. En se voyant si près du sanglier, la Balue poussa un cri épouvantable pour demander du secours. Ce cri, ou peut-être la vue du féroce animal, produisit un tel effet sur son coursier, qu’il suspendit sa course impétueuse et fit si brusquement un saut de côté, que le cardinal, qui ne s’était maintenu en selle que parce que jusqu’alors le mouvement avait été en ligne droite, tomba lourdement à terre. Cette partie de chasse de la Balue se termina si près du sanglier, que, si l’animal n’eût été en ce moment très-fortement occupé de ses propres affaires, ce voisinage aurait pu devenir aussi funeste au cardinal que pareil événement le fut, dit-on, à Favila, roi des Visigoths, en Espagne. Il en fut cependant quitte pour la peur ; et se traînant aussi promptement qu’il lui fut possible hors de la route que suivaient les chiens et les chasseurs, il vit toute la chasse passer devant lui sans recevoir de personne le plus léger secours ; car les chasseurs de ce temps-là n’avaient pas plus de compassion pour de pareils accidents que ceux du nôtre.

Le roi, en passant, dit à Dunois : « Voilà Son Éminence assez bas. Il n’est pas grand chasseur, bien qu’à titre de pêcheur, lorsqu’il s’agit de pêcher un secret, il puisse rivaliser avec saint-Pierre lui-même. Cette fois-ci cependant je pense qu’il a trouvé à qui parler. » Le cardinal n’entendit pas ces paroles, mais l’air de mépris dont elles furent accompagnées lui en fit soupçonner à peu près le sens.

Le diable, dit-on, profite, pour nous tenter, des occasions semblables à celle que lui offraient en ce moment les passions diverses qui agitaient la Balue, et auxquelles le dédain du roi vint ajouter un nouveau degré d’amertume. Sa frayeur momentanée se dissipa dès qu’il fut assuré qu’il ne s’était fait aucun mal en tombant ; mais sa vanité mortifiée et son ressentiment contre son souverain exercèrent sur lui une influence qui fut bien plus durable.

Toute la chasse avait passé, lorsqu’un cavalier, qui paraissait moins partager ce divertissement qu’en être spectateur, s’avança suivi d’un ou deux domestiques, et ne témoigna pas peu de surprise de trouver là le cardinal, à pied, sans cheval et sans suite,