Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/179

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extérieur assimilent plutôt au vieux Michaud, changeur de monnaies à Gand, qu’au successeur de Charlemagne. — Arrêtez, dit la princesse ; n’oubliez pas que vous parlez de mon père. — « De votre père ! » répliqua la dame bourguignonne dans la plus grande surprise. — « De mon père, » répéta la princesse avec dignité. « Je suis Jeanne de France. Mais ne craignez rien, madame, » ajouta-t-elle avec cet accent de douceur qui lui était naturel ; « vous n’aviez pas dessein de m’offenser, et je ne m’offense point. Disposez de mon influence pour rendre votre exil et celui de cette intéressante personne moins rigoureux. Hélas ! ce que je puis faire est bien peu de chose, mais je vous l’offre de bon cœur. »

Ce fut avec soumission et un profond respect que la comtesse Hameline de Croye (c’était le nom de la plus âgée des deux étrangères) reçut l’offre pleine d’obligeance de la protection de la princesse. Elle avait long-temps demeuré dans les cours, elle connaissait parfaitement les belles manières que l’on y acquiert, et tenait fortement à la règle établie chez les courtisans de tous les siècles, qui, bien que leurs conversations particulières roulent ordinairement sur les vices et les folies de leurs maîtres, dont ils se plaignent d’être négligés, eux et leurs intérêts, ont bien soin de ne proférer jamais de pareilles plaintes en présence du monarque ou d’aucun membre de sa famille. La dame fut donc accablée de la plus grande confusion lorsqu’elle vit l’erreur dans laquelle elle était tombée en parlant d’une manière aussi inconvenante devant la fille de Louis. Elle se serait épuisée en marques de regret et en excuses multipliées, si elle n’eût été interrompue et rendue à la tranquillité par la princesse, qui la pria avec le ton de voix le plus doux, ce qui toutefois, de la part d’une fille de France, équivalait à un ordre, à ne rien ajouter de plus, ni par forme d’excuse, ni par forme d’explication.

La princesse Jeanne prit alors un siège avec un air de dignité convenable, et obligea les deux étrangères à s’asseoir l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, ce que la plus jeune fit avec une timidité naïve et respectueuse, et la plus âgée avec une affectation d’humilité et de profond respect qui laissait douter de ce double sentiment. Elles s’entretinrent ensemble, mais d’un ton si bas, que Quentin ne put rien entendre ; il observa seulement que la princesse témoignait beaucoup d’égards à la plus jeune, à la plus intéressante des deux dames, et que la comtesse Hameline, quoiqu’elle parlât bien davantage, attirait beaucoup moins l’attention