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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/30

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l’idée que nous adressions nos prières au même Dieu, fondées sur le même et grand principe de la rédemption éternelle, quoique sous des formes différentes ; que j’étais dans la persuasion que s’il avait plu au Tout-Puissant de ne pas permettre cette variété de culte, nos devoirs nous auraient été prescrits aussi distinctement qu’ils sont tracés dans le Décalogue.

Le marquis n’était pas un secoueur de main[1] ; mais dans le cas présent, il saisit la mienne et la secoua avec cordialité : seule marque peut-être qui pût annoncer qu’il partageait mes sentiments, et qu’un zélé catholique pût convenablement donner en pareille circonstance.

Ces explications, ces remarques, et les nombreuses réflexions, produites par le spectacle de ces ruines, remplirent le temps que nous mîmes à faire deux ou trois fois le tour de la longue terrasse, et un quart d’heure pendant lequel nous restâmes assis dans un pavillon voûté, bâti en pierres de taille, décoré des armoiries du marquis, et dont le dôme, quoique un peu endommagé, était encore solide et assez bien conservé.

« C’est ici, » dit-il en reprenant le ton de la première partie de notre conversation, « que j’aime à venir m’asseoir à midi, lorsque ce pavillon m’offre un abri contre la chaleur, et dans la soirée, lorsque les rayons du soleil couchant s’éteignent par degrés sur la nappe étendue et onduleuse de la Loire ; c’est ici que, pour employer le langage de votre grand poète, c’est ici que, malgré ma qualité de Français, je connais mieux que bien des Anglais,

Shewing the Code of sweet and bitter fancy[2]. »

J’eus grand soin de ne pas réclamer contre cette variante d’un passage bien connu de Shakspeare ; car je soupçonne fort que Shakspeare aurait perdu dans l’opinion d’un juge aussi fin que le marquis, si j’avais démontré que, suivant toutes les autres leçons, il avait écrit chewing the cude, au lieu de shewing the Code[3]. D’ailleurs notre précédente discussion me suffirait, étant convaincu depuis long-temps (quoique je ne l’aie été que dix ans après être sorti du collège d’Édimbourg) que le véritable talent de la conversation consiste non pas à faire parade de connaissances supé-

  1. Allusion à la coutume des Anglais, qui, au lieu de s’ôter le chapeau, se prennent la main. a. m.
  2. Ce qui veut dire : Montrant le code d’une amère et douce imagination. a. m.
  3. Ces deux phrases ont en effet deux sens bien différents : to chew the cud veut dire ruminer ou méditer ; et to shew the Code, explique le code. a. m.