Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Son ressentiment, dit le marquis, était sans doute proportionné à son désappointement ?

— Nullement, répondit le curé ; car il parlait avec tant d’enthousiasme de la valeur de ce qui vous reste, que je suis convaincu qu’il n’a fallu rien moins que vos instantes prières pour empêcher le château de Haut-Lieu d’occuper au moins vingt pages dans le magnifique ouvrage dont il vous a envoyé un exemplaire, et qui sera un monument impérissable de son zèle et de son érudition.

— Le docteur Dibdin est d’une politesse achevée, dit le marquis ; et quand nous aurons pris notre café (le voilà qui arrive), nous irons à la tourelle ; et j’espère que, de même que monsieur n’a pas dédaigné mon humble dîner, il aura également de l’indulgence pour l’état de désordre de ma bibliothèque : je m’estimerai heureux s’il y trouve quelque chose qui puisse l’amuser. D’ailleurs, mon cher curé, quelque chose qui arrive, vous avez tous les droits possibles sur mes livres, puisque, sans votre intervention, ils n’auraient jamais été rendus à leur propriétaire. »

Quoique cet acte additionnel de courtoisie lui eut été évidemment arraché par l’importunité du curé, et que son désir de cacher la nudité de ses domaines et l’étendue de ses pertes parût toujours lutter contre son penchant naturel à obliger, je ne pus m’empêcher d’accepter une offre que les règles strictes de la politesse auraient peut-être dû me faire refuser. Mais renoncer à voir les restes d’une collection assez curieuse pour avoir inspiré à notre bibliomaniaque docteur la détermination de recourir à l’escalade en désespoir de cause, c’eût été un acte d’abnégation au-dessus de mes forces.

La Jeunesse avait apporté le café, tel qu’on ne le sert que sur le continent, sur un plateau couvert d’une serviette, afin qu’on pût penser qu’il était d’argent, et le pousse-café de la Martinique sur un petit plateau qui était réellement de ce métal. Le repas ainsi terminé, le marquis me conduisit, par un escalier dérobé, dans une vaste galerie, de forme régulière, qui avait près de cent pieds de long, mais tellement dilapidée, que je tins mes yeux fixés sur le plancher, de crainte que le bon marquis ne se crût obligé de faire une apologie pour les tableaux délabrés et les tapisseries en lambeaux, et, ce qui était pire, pour les croisées mutilées par la violence du vent.

« Nous avons fait en sorte de rendre la petite tour un peu plus habitable, » dit le marquis en traversant à la hâte ce séjour de dé-