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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/414

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bienséance. Le roi reprit son siège, força d’Argenton à s’asseoir près de lui, et lui prêta la même attention que si ses paroles étaient sorties de la bouche d’un oracle. L’homme d’État parla à voix basse, de ce ton pénétrant qui force la confiance, parce qu’il annonce à la fois une grande sincérité et une sorte de précaution, et avec une lenteur qui semblait calculée pour donner au monarque le temps de peser chaque mot à mesure qu’il le prononçait, comme ayant un sens particulier et une valeur locale.

Les propositions que j’ai soumises à la considération de Votre Majesté, dit-il, quelque dures qu’elles soient à entendre, diffèrent cependant beaucoup des mesures acerbes qui ont été proposées et discutées dans le conseil du duc par des gens plus hostiles que moi à l’égard de votre Majesté ; et je n’ai pas besoin de vous rappeler que les avis les plus emportés, les plus violents, sont ceux que mon maître accueille toujours le plus favorablement, parce qu’il aime à prendre la voie la plus courte, malgré les dangers qu’il peut y rencontrer, plutôt que d’en suivre une plus sûre, mais qui le forcerait à de longs détours. — Vous avez raison, et je me souviens de l’avoir vu, étant à cheval, traverser une rivière à la nage, au risque de s’y noyer, quand, à deux cents pas tout au plus, il y avait un pont sur lequel il aurait pu passer. — C’est la vérité, Sire ; mais celui qui compte sa vie pour rien, quand il s’agit de satisfaire la passion du moment, sacrifiera, pour le seul plaisir de faire sa volonté, l’occasion d’accroître sa puissance. — J’en conviens avec vous : un fou s’attache plutôt à l’apparence qu’à la réalité du pouvoir. Tel est, en effet, Charles de Bourgogne. Mais, mon cher ami d’Argenton, que concluez-vous de ces prémisses. — La conclusion est simple, Sire ; Votre Majesté a vu un pêcheur habile prendre un gros poisson, et finir par l’amener à bord avec un fil presque aussi faible qu’un cheveu, tandis que ce poisson aurait brisé une corde dix fois plus forte si le pêcheur avait prétendu le tirer à lui avec violence, au lieu de lui laisser du champ pour se débattre en liberté. De même Votre Majesté, en cédant au duc sur les points auxquels il a particulièrement attaché ses idées d’honneur et de vengeance, peut échapper à des propositions révoltantes, semblables à celles dont je vous ai déjà entretenu ; par exemple (car je dois parler sans détour à Votre Majesté), celles qui tendent à l’affaiblissement de la France : elles s’effaceront de sa mémoire, ou seront facilement éludées si vous en rejetez la discussion à un autre temps. — Je vous comprends mon cher