Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/91

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En parlant ainsi il lui versa une rasade ; et le coutelier, après l’avoir avalée, partit pour s’acquitter de sa commission.

« Et maintenant, beau neveu, dit le Balafré, contez-moi ce qui vous arriva à vous-même dans cette malheureuse affaire. — Je combattis avec ardeur au milieu de ceux qui étaient plus âgés et plus vigoureux que moi, jusqu’à ce qu’ils fussent tous renversés, et je reçus une cruelle blessure. — Pas pire que celle que je reçus moi-même il y a dix ans. Regarde, beau neveu ; mets les doigts sur cette cicatrice : le sabre d’un Ogilvie n’a jamais creusé un sillon aussi profond. — Ils en creusèrent cependant d’assez profonds, » répondit Quentin d’un air triste : « mais enfin ils se lassèrent de tuer, et ce ne fut qu’à force de prières que ma mère obtint qu’on me laissât la vie, quand on s’aperçut qu’il m’en restait encore un léger souffle. Un savant moine d’Aberbrothock[1], qui était par hasard au château dans ce fatal moment, et qui faillit être tué dans la mêlée, obtint la permission de panser ma blessure, puis de me faire transporter en lieu de sûreté ; mais ce ne fut que sur la promesse de lui et de ma mère, que je me ferais moine. — Moine ! s’écria son oncle. Bienheureux saint André, c’est ce qui ne m’est jamais arrivé. Personne, depuis mon enfance jusqu’à ce jour, n’a jamais eu la moindre idée de me faire moine. Et cependant je m’en étonne quand j’y pense, car vous conviendrez que, excepté la lecture et l’écriture, que je n’ai jamais pu apprendre ; la psalmodie, que je n’ai jamais pu endurer ; le costume, qui conviendrait assez à des fous, à des mendiants… Notre-Dame me pardonne ! » ici il fit un signe de croix, « et les jeûnes, qui ne conviennent nullement à mon appétit, j’aurais assurément fait un tout aussi bon moine que mon compère du couvent Saint-Martin. Mais je ne sais pourquoi personne ne me l’a jamais proposé. De sorte donc, beau neveu, que l’on vous fit moine ; et la raison, je vous prie ? — Afin que la maison de mon père s’éteignît dans le cloître ou dans la tombe. — Je vois, je comprends… rusés coquins !… oui, très-rusés ! Ils auraient bien pu se tromper cependant ; car, voyez-vous, beau neveu, je me souviens moi-même du chanoine Robersart, qui avait prononcé ses vœux, et qui ensuite quitta le couvent et devint capitaine d’une compagnie franche. Il avait une maîtresse, qui était la plus jolie fille que j’aie jamais vue, et trois enfants aussi beaux

  1. Ville écossaise du comté de Firth, sur la rivière de Forth, où il y avait jadis une abbaye. Voyez l’Antiquaire. a. m.