Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/121

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moissons. » Mais vainement elle raisonnait ainsi ; la voix désirée de son fils ne vint pas rappeler et la faire tressaillir sur l’humble couche où elle se reposait en rêvant à son approche. Hamish ne venait pas.

« L’espérance trompée, dit le roi sage, rend le cœur malade ; » et, quelque robuste que fût la constitution d’Elspat, elle commençait à se convaincre qu’elle n’était pas de force à supporter les chagrins auxquels l’assujettissait sa tendresse inquiète et immodérée. Un matin, de très-bonne heure, l’aspect d’un voyageur sur la route solitaire de la montagne vint tout à coup ranimer ses espérances qui commençaient à faire place au découragement. L’étranger ne portait sur lui aucune marque d’asservissement aux Saxons. À une certaine distance elle put voir flotter le plaid, serré autour de son corps par la ceinture, et dont les plis se dessinaient derrière lui avec grâce : elle reconnut aussi la plume qui, attachée sur le bonnet, était un signe de haut rang et de noble naissance. Il portait un fusil sur son épaule, et à son côté était suspendue sa claymore, avec les accessoires ordinaires, la dague, le pistolet, et le sporran mollach[1]. Avant que ses yeux eussent eu le temps d’examiner tous ces détails, le pas léger du voyageur devint plus précipité, sa main s’agita en signe de reconnaissance, et, un instant après, Elspat serra dans ses bras son fils bien-aimé, paré du costume de ses ancêtres, et paraissant aux yeux de sa mère « le plus beau au milieu de dix mille. »

Il serait impossible de peindre cette première explosion de bonheur et de joie. Des bénédictions se mêlèrent aux épithètes les plus tendres que put lui fournir son langage énergique, pour exprimer le ravissement sauvage de son âme. Sa table fut précipitamment chargée de tout ce qu’elle avait à offrir, et l’heureuse mère, tout en contemplant avec délices le jeune soldat qui partageait son frugal repas, observait tout bas combien de rapports et pourtant combien de différence il existait entre ses sentiments actuels et ceux qu’elle avait éprouvés jadis en voyant son enfant chéri prendre sur son sein son premier aliment.

Lorsque le tumulte excité dans son âme par l’excès du bonheur fut un peu apaisé, Elspat, impatiente de connaître les aventures de son fils depuis leur séparation, l’interrogea et ne put s’empêcher de le blâmer vivement de la témérité avec laquelle il venait

  1. Bourse de peau de chèvre que les montagnards écossais portent à leur ceinture. a. m.