Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/207

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tuer à coups de fusil sergents et caporaux, et des conducteurs de troupeaux montagnards à poignarder des engraisseurs de bétail anglais, ce n’est pas à un homme tel que moi qu’il faudrait vous adresser. Je pourrais vous conter quelques tours de mon métier, peut-être, et une ou deux histoires sur des domaines perdus et recouvrés. Mais, pour vous dire la vérité, vous pourriez agir avec votre muse de fiction, comme vous l’appelez, de même que plus d’un honnête homme agit avec ses propres fils de chair et de sang.

— Et qu’en pourrais-je donc faire, mon cher monsieur ?

— L’envoyer aux Indes, rien de plus. C’est le véritable endroit où peut réussir un Écossais, et si vous reportez votre histoire à cinquante ans d’ici, comme rien ne vous en empêche, vous trouverez dans ce pays autant de fusillades et de coups de poignard Qu’il y en eut jamais dans les sauvages montagnes. S’il vous faut des coquins, vous avez cette brave bande d’aventuriers qui laissèrent leurs consciences au cap de Bonne-Espérance, en se rendant aux Indes, et oublièrent de les reprendre en revenant. Puis, en fait de grands exploits, vous avez dans la vieille histoire de l’Inde, avant que les Européens y fussent nombreux, les plus merveilleuses entreprises accomplies par les plus faibles moyens que peut-être les annales du monde puissent présenter.

— Je le sais, » m’écriai-je, m’échauffant aux idées que m’inspirait son discours. » Je me rappelle, dans les pages délicieuses de Robert Orme[1], l’intérêt que donnent à ses récits le très-petit nombre d’Anglais qui y jouent un rôle. Chaque officier d’un régiment vous devient connu par son nom, les lieutenants même et les simples soldats acquièrent un droit individuel à l’attention du lecteur. On les distingue parmi les naturels, comme les Espagnols parmi les Mexicains. Que vous dirai-je ? Ils sont comme les dieux d’Homère au milieu des belliqueux mortels. Des hommes tels que Clive et Caillaud influèrent sur de grands événements, comme Jupiter lui-même. Les officiers inférieurs sont comme Mars ou Neptune, et les sergents et les caporaux peuvent bien passer pour des dieux subalternes. Puis les différentes coutumes religieuses, les habitudes, les manières du peuple de l’Indoustan… le patient Indou, le belliqueux Rajahpoot, le fier Musulman, le sauvage et vindicatif Malais… Que de sujets glorieux et sans bornes ! La seule difficulté est que je ne suis jamais allé dans ces contrées, et que je ne sais rien du tout sur ces nations.

  1. Historien anglais des Indes orientales, mort en 1801. a. m.