Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/265

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indigents. Son mérite parut plus grand encore lorsqu’on vint à apprendre qu’il avait servi l’honorable compagnie des Indes orientales… cette fastueuse compagnie de négociants qui peuvent, à très-juste titre, être appelés princes. C’était vers le milieu du dix-huitième siècle, et les directeurs jetaient silencieusement dans Leadenhall Street les fondements de cet immense empire qui s’éleva ensuite comme un météore sorti des entrailles de la terre, et qui maintenant étonne l’Europe aussi bien que l’Asie par sa formidable étendue et sa miraculeuse puissance. La Grande-Bretagne avait déjà commencé à prêter une oreille étonnée au récit des batailles gagnées et des villes conquises dans l’Orient : elle était émerveillée en voyant des hommes qui avaient quitté leur pays en aventuriers, y reparaître maintenant entourés des richesses et du luxe de l’Inde, qui éclipsaient même la splendeur de la plus opulente noblesse d’Angleterre. C’était, à ce qu’il paraît, dans cet El Dorado, nouvellement découvert, qu’Hillary avait travaillé, et, s’il ne mentait pas, il en avait rapporté quelque profit, quoiqu’il fût loin d’avoir terminé la moisson qu’il se proposait de recueillir. Il parlait, à la vérité, de faire des placements, et il avait consulté son ancien maître, le clerc Lawford, sur l’achat d’une ferme consistant en trois mille acres de marécage, comme simple objet de fantaisie, qu’il s’estimerait heureux de payer trois ou quatre mille guinées, pourvu que le gibier y fût abondant, et que les truites fussent aussi nombreuses dans la rivière qu’on l’annonçait sur les affiches. Mais, après tout, il ne lui convenait pas d’acquérir de grandes propriétés pour le moment. « Il était nécessaire qu’il gardât son crédit dans Leadenhall Street ; et, dans cette vue, il lui paraissait impolitique de se défaire de ses actions de la compagnie des Indes. Bref, c’était folie de se retirer des affaires avec un pauvre revenu de mille à douze cents livres par an, lorsqu’on était à la fleur de l’âge et qu’on n’avait encore éprouvé aucune atteinte de la maladie du foie[1] : » aussi était-il résolu à doubler encore une fois le Cap, avant de se retirer au coin de la cheminée pour le reste de sa vie. Son unique désir était de recruter quelques drôles intelligents pour les incorporer dans son régiment, ou plutôt dans sa propre compagnie ; et comme dans tous ses voyages il n’avait jamais vu de plus beaux garçons qu’à Middlemas, il leur donnerait volontiers la préférence pour compléter ses rôles. Dans le fait, c’était faire leur fortune d’un coup : car un petit nom-

  1. Mal auquel sont sujets les Européens qui vont dans l’Inde. a. m.