Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/280

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accueilli par le gagnant aussi bien que par le perdant, avec des exécrations qui semblaient capables de souiller le corps et l’âme, employées tantôt comme expressions de triomphe, tantôt comme reproches contre la fortune.

Après celui des joueurs venait un grabat occupé, il est vrai, par deux corps, mais dont un seulement était en vie… l’autre malheureux avait été récemment délivré de ses souffrances.

« Il est mort… il est mort ! » s’écria l’infortuné survivant.

« Alors mourez aussi, et allez au diable, répondit un des joueurs ; ainsi vous ferez la paire, comme dit Pugg.

— Je vous répète qu’il devient roide et froid, répliqua le pauvre misérable… les morts ne sont pas de bons camarades de lit pour les vivants. Pour l’amour de Dieu, aidez-moi à me débarrasser de ce cadavre.

Oui, pour être soupçonné d’avoir fait le coup… comme vous pouvez bien l’avoir fait vous-même, l’ami… car il avait quelques deux ou trois shillings sur lui…

— Vous savez bien que vous avez pris son dernier sou dans la poche de sa culotte, il n’y a pas une heure, » reprit d’un air suppliant le pauvre malade ; « mais aidez-moi à pousser le corps hors du lit, et je ne dirai pas au croque-mort que vous avez eu la main plus leste que lui.

— Vous le direz au croque-mort ! s’écria le joueur au cribbage ; encore un pareil mot, et je vous tordrai le cou jusqu’à ce que vos yeux puissent voir ce que le tambour a écrit sur votre dos. Tenez-vous tranquille, et ne troublez pas notre partie avec votre babillage, ou je vous rendrai aussi muet que votre compagnon de lit. »

Le pauvre misérable, épuisé, retomba à côté de son hideux coucheur ; et le jargon ordinaire du jeu, entremêlé d’exécrations, continua comme auparavant.

D’après cet échantillon de dureté et d’indifférence, contrastant avec le dernier excès de misère, Middlemas put se convaincre qu’il ne lui était guère possible de faire un appel à l’humanité de ses compagnons de souffrance. Son cœur se gonfla, et l’idée de l’heureuse et paisible demeure qui aurait pu devenir la sienne vint se présenter à son imagination exaltée avec des couleurs si riantes, qu’elle le jeta presque dans une espèce de délire. Il voyait devant lui le ruisseau qui erre dans la prairie de Middlemas, où avait si souvent établi de petits moulins pour l’amusement de Menie, lorsqu’elle était enfant. Une gorgée de l’eau de ce ruisseau