Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous ? » ajouta-t-il en dirigeant sa lorgnette vers elle… « Oui, ma foi ! elle est jolie… fort jolie… corbleu ! elle lance de derrière cette vieille tour des regards aussi vifs que Teucer de derrière le bouclier d’Ajax fils de Télamon.

— Mais qui est-elle ?… pourriez-vous me l’apprendre ?

— Quelque spéculation en peau blanche de la vieille Montreville, une personne qu’elle a fait venir pour décharger sur elle sa mauvaise humeur, je pense, ou pour la colloquer à quelqu’un de ses noirs amis… Est-il possible que vous n’ayez jamais entendu parler de la vieille mère Montreville ?

— Vous savez que j’ai été long-temps absent de Madras…

— Eh bien ! continua Butler, cette dame est veuve d’un officier suisse au service de la France, qui, après la reddition de Pondichéry, s’enfonça dans l’intérieur des terres, et se fit soldat pour son propre compte. Il prit possession d’un fort, sous prétexte de le garder pour tel ou tel autre simple rajah ; assembla autour de lui une poignée de vagabonds sans aveu, d’autant de couleur qu’il y en a dans l’arc-en-ciel ; s’empara d’un territoire considérable, où il levait des contributions en son propre nom, et enfin se déclara indépendant. Mais Hyder Naig n’entendait pas ce commerce interlope : il se mit en campagne, assiégea le fort et le prit ; certaines personnes prétendent qu’il lui fut livré par cette femme elle-même. Quoi qu’il en soit, le pauvre Suisse fut trouvé mort sur les remparts. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle reçut de fortes sommes d’argent sous prétexte de congédier ses troupes, de rendre ses forts des montagnes, et Dieu sait en outre pour quelles autres raisons. Elle obtint aussi la permission de conserver quelques insignes de royauté ; et, parce qu’elle avait coutume de parler d’Hyder comme du Salomon d’Orient, elle devint généralement connue sous le nom de reine de Saba. Elle quitte sa cour quand il lui plaît de la quitter, et ce n’est pas aujourd’hui la première fois qu’elle vient jusqu’au fort Saint-George. En un mot, elle fait à peu près tout ce qu’elle veut. Ici, les autorités se montrent civiles à son égard, quoiqu’on ne la regarde guère que comme un espion. Quant à Hyder, on suppose qu’il s’est assuré de sa fidélité en lui empruntant la plus grande partie de ses trésors, ce qui l’empêche d’oser rompre avec lui, sans parler d’autres causes qui sentent le scandale d’un autre genre.

— C’est une singulière histoire, » répliqua Hartley à son compagnon, tandis que dans son cœur il agitait cette question : com-