Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/350

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gueil, il avait été fiancé à la fille d’un sipahee, qui servait dans le fort de terre qu’ils voyaient s’élever au milieu de la jungle. En temps convenable, Sadhu, avec ses amis, vint pour épouser sa prétendue et l’emmener chez lui. Elle était montée sur un tatoo, petit cheval du pays, et Sadhu la précédait à pied avec ses amis, tous pleins de joie et d’orgueil. Lorsqu’ils approchèrent du nullah, où nos voyageurs étaient pendant ce récit, on entendit un horrible rugissement accompagné d’un cri de désespoir. Sadhu Sing se retourna aussitôt, et ne vit plus la nouvelle épouse, il aperçut seulement le cheval qui courait au grand galop dans une direction, tandis que dans l’autre les longues herbes et les hautes broussailles de la jungle étaient agitées comme la surface de l’Océan, quand un requin vient la troubler. Sadhu tira son sabre et courut dans cette direction ; le reste de la troupe demeura immobile de stupeur ; mais un rugissement s’étant fait entendre, ils s’enfoncèrent dans la jungle, armés de leurs cimeterres, et y trouvèrent bientôt Sadhu Sing, tenant dans ses bras le cadavre inanimé de son épouse, tandis qu’un peu plus loin gisait le corps du tigre, tué par un coup qui l’avait atteint près de la tête, et que le désespoir seul pouvait avoir porté… Le malheureux Sadhu, privé de son épouse, ne voulut recevoir aucune consolation, aucune assistance. Seul il creusa une fosse pour sa chère Mora ; seul il lui éleva le tombeau grossier qu’on voyait encore, et depuis, il ne quitta jamais cette place. Les bêtes féroces elles-mêmes semblaient respecter ou craindre l’excès de sa douleur. Ses amis lui apportaient quelque nourriture, et pour boisson il avait l’eau du nullah ; mais jamais il ne lui arriva de sourire ou de leur témoigner la moindre reconnaissance, à moins qu’ils ne lui apportassent des fleurs pour jeter sur le tombeau de Mora. Quatre ou cinq ans, au dire du guide, s’étaient déjà écoulés, et Sadhu Sing était encore là, au milieu des trophées de sa vengeance et de sa douleur, offrant tous les symptômes d’un âge avancé, quoique encore dans la fleur de la jeunesse. Cette histoire empêcha les voyageurs de s’arrêter plus longtemps ; le vakeel, parce qu’elle lui rappelait les dangers de la jungle, et Hartley, parce qu’elle coïncidait trop bien avec le sort de sa bien-aimée, qui était presque sous la griffe d’un tigre plus formidable que celui dont le squelette gisait devant Sadhu Sing.

Ce fut au fort de terre déjà mentionné que les voyageurs reçurent d’un peon, ou soldat d’infanterie, qui retournait alors vers la côte, les premiers renseignements sur la marche de la bégum