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CHAPITRE II.

d’une manière peu flatteuse, la perte que j’avais faite de l’un de ces biens de famille auxquels le compilateur de l’histoire était si vivement attaché, perte arrivée justement par suite de la conduite qu’il blâmait le plus sévèrement. Il me semblait même que, pour achever de m’aigrir, son regard prophétique sur l’avenir, regard qui n’avait pu certainement discerner d’aussi loin la prodigue folie de l’un de ces descendants, était une insulte qui s’adressait à moi personnellement, bien qu’elle eût été écrite cinquante ou soixante ans avant que je fusse né.

Un peu de réflexion me fit rougir de cet injuste ressentiment, et, tout en regardant l’écriture nette et régulière, bien qu’un peu tremblée du manuscrit, je ne pus m’empêcher de penser, selon l’opinion que j’ai entendu souvent soutenir, que l’on pouvait former des conjectures assez probables sur le caractère d’un homme, d’après la seule inspection de quelques lignes tracées par sa plume. Cette écriture, très-régulière, mais petite et serrée, indiquait un homme d’une conscience pure, sachant gouverner ses passions, et qui, selon sa propre expression, suivait le chemin le plus droit de la vie ; mais elle indiquait aussi un esprit étroit, imbu de préjugés invétérés, et susceptible jusqu’à un certain degré, d’une intolérance qui, opposée cependant à sa nature, provenait d’une éducation bornée. Divers passages des livres saints et des auteurs classiques, prodigués confusément plutôt qu’heureusement appliqués, et transcrits en caractères moyens, pour faire remarquer leur importance, attestaient cette espèce particulière de pédantisme qui regarde tout argument comme irrésistible lorsqu’il est appuyé d’une citation. Ensuite, les lettres capitales, de forme prétentieuse, qui ornaient le commencement de chaque alinéa, ainsi que les noms de nos fiefs et de nos ancêtres, n’exprimaient-elles pas, de la manière la plus positive, le sentiment d’orgueil nobiliaire dont l’auteur avait été tout pénétré en accomplissant sa tâche ? Je me persuadai que toutes ces particularités réunies offraient un portrait complet de l’homme, et détruire son manuscrit m’aurait paru un acte non moins irrespectueux que s’il se fût agi d’effacer la ressemblance de ses traits sur la toile, ou de troubler ses cendres dans son cercueil. Je songeai un moment à offrir ce manuscrit à M. Fairscribe ; mais ce maudit passage sur l’enfant prodigue et l’auge aux pourceaux me revenant à l’esprit, je conclus définitivement qu’il valait autant le renfermer