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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

posées que depuis deux ans, ne tenaient déjà plus sur leurs gonds ; enfin la désolation était partout où le plaisir n’avait jamais habité, bien que tout eut été préparé pour lui ; et le manque total de moyens de conservation avait devancé les ravages du temps et hâté l’œuvre de la destruction.

L’histoire de cet édifice n’avait rien d’extraordinaire ; peu de mots suffisent pour la faire connaître. M. Treddles, l’acquéreur de ce domaine, était un homme plein de prudence mondaine, ne songeant guère qu’à amasser de l’argent. Son fils, plongé également dans les spéculations commerciales, voulait tout à la fois jouir de son opulence et l’augmenter. Il fit d’énormes dépenses, dans le nombre desquelles on doit compter la construction de cette maison. Pour les soutenir il entreprit des opérations hardies, mais malheureuses. Là se termine toute cette histoire, qui peut s’appliquer à bien d’autres lieux qu’à Glentanner.

Des sensations aussi étranges que variées agitaient mon ame à mesure que j’errais dans ces appartements déserts, et j’entendais à peine ce que me disait mon guide sur la destination de chaque pièce. Le premier sentiment que j’éprouvai fut, je rougis de le dire, celui d’un dépit satisfait. Mon orgueil nobiliaire vit avec joie que le commerçant qui n’avait pas jugé le manoir des Croftangry assez digne de lui eût été frappé de ruine à son tour. Ma seconde pensée ne fut guère plus généreuse, quoiqu’elle fût moins haineuse. « Je vaux mieux que lui, me dis-je : si j’ai perdu ce domaine, j’en ai du moins dépensé noblement le prix, et M. Treddles a dissipé sa fortune dans de viles spéculations de commerce. »

« Misérable ! s’écria une voix secrète dans le fond de mon ame, oses-tu t’applaudir ainsi de ta honte ? Rappelle-toi comment ta jeunesse et ta fortune ont été prodiguées, dissipées pendant ces années de folie, et cesse de te glorifier d’avoir joui d’une existence qui t’a mis au niveau des brutes, dont rien ne doit survivre après la mort. Songe que la vanité de cet insensé a donné du moins du pain au laboureur, au paysan, à l’artisan, et que sa profusion, semblable à l’eau répandue sur la terre, a rafraîchi les plantes et l’humble verdure. Mais toi ! qui as-tu enrichi pendant ta carrière d’extravagance et de folies ? Personne, excepté ces agents du démon, taverniers, intrigants, joueurs et maquignons. » L’angoisse produite par ce reproche que je m’adressais à moi-même fut si vive, que, portant la main à mon front, je fus obligé de prétexter une migraine subite aux yeux de mon conducteur, étonné de ce