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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

pables ceux auxquels est confiée l’administration des grandes routes, que de donner à un simple sentier, qui doit conduire à quelque canton isolé et peu populeux, la largeur nécessaire à une avenue qui mène droit à la métropole. Je ne parle pas de la dépense qu’une telle entreprise entraîne ; c’est une affaire que les administrateurs et leurs employés doivent régler selon leur bon plaisir. Mais les beautés sauvages de la nature se trouvent complètement détruites là où l’on perce une route dont la largeur est hors de proportion avec la vallée qu’elle doit traverser : on ôte toute espèce de charme aux bois, aux eaux et aux terrains variés qui, autrement, auraient attiré les regards. La petite rivière, qui longe en murmurant l’une de ces modernes voies Appiennes ou Flaminiennes, n’est plus qu’un misérable ruisseau ; la montagne n’est plus qu’une colline, et la colline pittoresque n’est plus, à son tour, qu’une taupinière presque invisible à la vue.

Une faute de ce genre avait troublé la tranquille solitude de Duntarkin, et avait remplacé les charmes naturels de l’un des endroits les plus retirés de Middle-Ward de Clydesdale par une large route dont la poussière et le gravier tourbillonnaient sous les roues des chaises de poste et des diligences. La maison, vieille et délabrée, avait déjà par elle-même un air de tristesse, comme si elle eût éprouvé le sentiment de sa dégradation. Mais l’enseigne, large et neuve, était peinte en couleurs brillantes : elle représentait un écusson portant trois navettes sur un champ diapré ; une toile en partie déployée pour cimier, et deux énormes géants pour supports, chacun d’eux tenant à la main une ensouple de tisserand. On n’aurait pu placer ce monstrueux emblème sur la façade de la maison, sans risquer de faire écrouler une partie de la muraille, et sans boucher une fenêtre ou deux : aussi lui avait-on choisi une place indépendante de l’édifice. On l’avait suspendu dans un cadre de fer massif, entre deux poteaux, et le tout contenait autant de bois et de fer qu’il en aurait fallu pour construire un pont. Cette grotesque enseigne, criant et gémissant à chaque coup de vent, répandait l’effroi dans tous les nids de grives et de linotes à cinq milles à la ronde, et troublait par ce bruit discordant l’innocente paix de ces anciens habitants de la vallée.

À mon entrée dans ce séjour, je fus reçu par Christie elle-même, qui parut d’abord hésiter si elle me laisserait dans la cuisine, ou si elle m’introduirait dans un appartement séparé. Mais comme, en lui demandant du thé, je la priai d’y ajouter quelque chose de